lundi, décembre 22, 2008

Exposition collective à la galerie Satellite, Paris (Jean-André Bertozzi, Bruno Debon, Pierre faure, Christophe Mauberret, Pascale Sablonnières)

Photo Bruno Debon,
« Auto cycloportrait, 2008 » (photophonie)






http://www.galeriesatellite.com/



vendredi, décembre 19, 2008

Des corps dématéralisés ou figés dans leur inertie muette (Grenoble-Paris, 18 déc. 2008)




Photos Yannick Vigouroux,
« Grenoble-Paris, 18 déc. 2008 » (Sony Cybershot)




C'est la fin de l'année et j'éprouve une grande fatigue, qui me plonge dans un état second, parfois agréable, sinon salutaire et nécessaire (?), si l'on en croit Peter Handke (Essai sur la fatigue, 1996).



Photos Yannick Vigouroux,
« Paris, L. 14, 18 déc. 2008 », de la série
« Undeground »(Sony Cybershot)




Hier, de retour de Grenoble, dans le TGV puis le métro, j'ai tenté d'évoquer cet abandon des corps dématérialisés par le flou photographique, ou figés dans leur inertie muette...

mardi, décembre 02, 2008

Inauguration d' « Escale sur 5 continents », exposition de Géraldine Langlois, librairie Wallonie-Bruxelles, Paris, le 10 déc. 2008







Un conseil de fin d'année pour ceux qui vivent à Paris, ou y passent, ne ratez pas l'exposition de photographies, dans le centre de Paris (à la librairie Wallonie-Bruxelles, à côté du parvis du Centre George Pompidou), de mon amie bruxelloise Géraldine Langlois.

J'aime le regard humaniste et sensible de cette excellente portraitiste.

http://www.geraldine-langlois.be/

http://www.librairiewb.com/

http://www.cwb.fr/

mercredi, novembre 26, 2008

Finissage de l'exposition « Périphérie aphone » et « Jukeboxe » de Benoît Géhanne à la Galerie Episodique, Paris, le 27 nov. 2008







Dans le cadre du Mois de la Photo-OFF

La FONDATION PREPART présente

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Benoît Géhanne

Périphérie aphone et Jukeboxe

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Damien Valero

Architexture

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Exposition du 06/11 au 27/11 2008

à La Galerie épisodique




Vernissage le 06/11 de 18 h à 21 h ••• Finissage le 27/11 de 18 h à 21 h

vendredi et lundi de 15h à 20h

samedi et dimanche de 10h à 19h

23, passage de Ménilmontant

75011 Paris

Tél.: 01 47 00 06 56



Un texte publié il y a quelques mois sur ces nouveaux travaux de Benoît Géhanne :

http://fotopovera.blogspot.com/2008/08/de-la-mise-en-bote-la-mise-en-cage-les.html

mardi, novembre 25, 2008

Conférence et table-ronde avec Yannick Vigouroux, « Foto Povera, des pratiques alternatives », Ecole supérieure d’art de Grenoble

Photo Yannick Vigouroux : « Tunisie, sept. 2000 » ,
de la série « Littoralités » (box 6x9)






L’école supérieure d’art de Grenoble vous invite

à une conférence et table-ronde avec Yannick VIGOUROUX.
«Foto Povera, des pratiques alternatives ».

Après avoir brossé un panorama des pratiques archaïsantes en photographie depuis 1945, Yannick Vigouroux s’entretiendra avec les trois artistes qui exposent avec lui à l’Artothèque, Bibliothèque Kateb Yacine dans «Correspondances 3 », Bernard Plossu, Dominique Mérigard, et Pierryl Peytavi».

Foto Povera, nom du collectif qu’il a créé en 2005, recouvre une pluralité de démarches et d’enjeux esthétiques : certains auteurs préfèrent parler de pratiques alternatives, d’ « appareil-jouets », d’images « précaires » ou « fragiles »… L’objet de la discussion sera de cerner les raisons de leur adhésion à de telles notions, et d’évoquer leur implication ponctuelle ou plus systématique dans de telles démarches.



Mardi 16 Décembre à 18h30,
25 rue Lesdiguières à Grenoble.
Entrée libre, tout renseignement au 04 76 86 61 30.



Cette conférence est programmée en partenariat avec l’Artothèque, Bibliothèque Kateb Yacine qui présente «Correspondances 3 », une exposition de photographies de Bernard Plossu, Yannick Vigouroux, Dominique Mérigard et Pierryl Peytavi du 17 Décembre au 7 Février 2009.
Vernissage Mercredi 18 Décembre à 18h30, Artothèque, Bibliothèque Kateb Yacine, 202 Grand'Place, 38100 Grenoble (Tél 04 38 12 46 20) .

Yannick VIGOUROUX : né en France en 1970, photographe, critique d'art et historien de la photographie, il vit et travaille à Paris. Diplômé de l'Ecole Nationale de la Photographie (Arles, France), il a été curateur de nombreuses expositions pour le Patrimoine photographique (Ministère de la Culture) et a publié plusieurs livres sur le photographie.
En tant que photographe, il utilise principalement des appareils-jouets dont, depuis 1996 une box 6 x 9 (série « Littoralités », consacrée aux bords de mer et zones portuaires), et depuis peu, un sténopé numérique. Fondateur en 2005 du collectif d'artiste Foto Povera, il a consacré à ces pratiques un livre rédigé avec Jean-Marie Baldner : Les Pratiques pauvres, du sténopé au téléphone mobile, publié la même année.

« J'aime me promener au bord de la mer avec ma box, cet appareil si léger, inoffensive (j'aime l'idée que ce ne soit pas du matériel professionnel, sérieux), ne possédant pas de cellule pour mesurer la lumière, pas plus que de diaphragme... Je ne peux déclencher qu’au 1/50 s ou sur la pause B. Plus de contrôle possible donc ou presque, je dois me soumettre à la lumière existante, en prendre plus que jamais conscience et me contenter de cadrer très approximativement dans le minuscule dépoli. Je fais des photos quand cela est possible ; j'ai le sentiment que, désormais, c'est en réalité le monde que je laisse entrer dans la boîte qui prend lui-même l'image. De ce parti pris de lâcher prise résultent ces vues intemporelles et immatérielles. Je ne crois par à la "vérité" du document. Selon moi, le document ment toujours, l'imaginaire jamais.»

L’école supérieure d’art de la Ville de Grenoble est subventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication – Direction Régionale des Affaires Culturelles, la Région Rhône-Alpes et le Département de l’Isère.

lundi, novembre 17, 2008

« Des images bleutées produisant des impacts lumineux de plus ou moins grande intensité » (Pierre Pelot)

Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 1098, Paris, 13 nov. 2008 »






Une fenêtre qui répond à une autre fenêtre, comme un écho mais visuel, au lieu d’être sonore.

Jeux de miroirs, jeux de réflections (Réflexion ?) et d’absorption. Chacune de ces images nocturnes va-t-elle avaler ou annuler l’autre ?

Dans un polar de Pierre Pelot, Pauvres Z’héros (1982), Darou, un paumé dont le cerveau ne tourne pas très rond, est incapable de distinguer, sur l’écran de sa télévision ce qui relève du reportage ou de la pure fiction. Tout existe au même niveau, dans ce que répandent les reflets bleutées hypnotisants sinon contaminants :

« La télé, posée à l’autre bout de l’habitacle, à hauteur de la kitchenette et sur trois caisses d’oranges qui jouaient également le rôle de placards, diffusait des images bleutées produisant des impacts lumineux de plus ou moins grande intensité. »

Ce bleu neigeux de l’écran… Lorsque j’ai pris ma photo, l’écran diffusait, me semblait-il, d’infimes particules de pixels, irradiant d’une énergie rassurante et positive la pièce plongée dans une semi-obscurité.

Depuis bien des mois, pendant mes divagations photographiques et littéraires, le réel ne reprend vraiment corps, pour moi, que lorsqu’il se désagrège, s’atomise ainsi…

mardi, novembre 04, 2008

« Blue Still-Movie » : une image surgie du passé, ou du futur ?


Photo Yannick Vigouroux,
« Blue Still-Movie, 3 nov. 2008 »
(Sony Cybershot)





Une image floue qui évoque une nature-morte, dans laquelle je crois reconnaître une orange et la lame d'un couteau. Je ne sais plus au juste ce que j'ai photographié (c'est une capture d'écran, cette image est extraite d'un film que j'ai regardé hier soir) !

Aurais-je enregistré une image surgie du passé, ou du futur ? Nous serions alors en pleine Science-Fiction...

mardi, octobre 28, 2008

Le sac à main


Photo Yannick Vigouroux,
« Boulevard de Reuilly, 11 oct. 08, 21 h »
(Sony Cybershot
)






J’ai trouvé un sac main. Après la première journée de brocante annuelle, dans mon boulevard à Paris, le sac en cuir marron avait été condamné au rebuts. 21 h 00. Ce qui m’a intrigué, ce n’est pas temps la qualité du cuir et la taille plutôt grande du sac ; non, ce qui m’a intrigué, c’est que la fermeture-éclair était bien fermée jusqu’au bout fermé…

Quels secrets ce sac pouvait t-il renfermer ? Un type me lorgna, suspicieux, lorsque je collectais très légalement mon trésor improbable (ignorant tout du contenu !).

Je ne l’ai ouvert que le lendemain matin , après, toute la nuit, perturbé par cette idée, avoir dormi d'un sommeil agité :que contenait ce sac, même la révélation la plus infime de la vie privée de cette femme privée volontairement ou non (femme décédée, volée…).

Rien hormis différents modèles d’enveloppes vierges ; puis une odeur persistante de tabac qui n’aurait pas été de mon goût si ce sac n’avait pas été trouvé, et possédé par conséquent son parfum de mystère…

mercredi, octobre 15, 2008

Une capture d'écran de télévision qui ressemblerait à un daguerréotype...


Photo Yannick Vigouroux,
« Blue Still-Movie, oct. 2008 »




Issue de ma nouvelle série, « Blue still-movies », l'une de mes saisies d'écran, comme surgie hors du temps, mélange improbable de technologie numérique du futur et des techniques des primitifs de la photographie, ressemble étrangement à un daguerréotype : l'image moirée m'évoque la surface métallisée, l'image miroir de ce procédé ; évidemment la couleur bleue évoque l'eau, ce reflet liquide dans lequel Narcisse se noie.

lundi, octobre 06, 2008

Jean Rivet, « Ce qui existe un instant existe pour toujours », 1987


Photo Yannick Vigouroux, « Window # 1024, Paris, 1 oct. 2008 »





Le jugement que porte le poète Jean Rivet sur la photographie est a priori plutôt sévère :

« Vous brassez vos photos, vous en prenez six comme à une loterie. Vous choisissez l’heure, vous dites à votre femme de se dévêtir, vous soufflez sur l’éphéméride, vous calculez le retard de l’horloge, vous aimez provisoirement le mot absent et vous fixez une à une vos photos sur chaque face d’un cube de matière plastique transparent : vous laissez mijoter dans temps et vous gardez pour faire des conserves à souvenir. »

(Ce qui existe un instant existe pour toujours, 1987)


« Aimer le mot absent » (souvent j’ai fait des images parce que, justement, je ne trouvais pas le mot ou l’expression qui convenait à ce que je voulais exprimer : « aimer le mot absent » quelle belle expression !) ; des photos contenues dans un cube où l’idée d’une mémoire mosaïquée… ; des « conserves à souvenir », l’expression me fait aussi penser aux boîtes de conserve percées qu’utilisent, notamment, les membres du collectif Oscura, en guise de sténopés. Décidément, malgré elle, une telle réflexion, est vraiment encourageante, pour un photographe. Enfin un photographe qui aiment investir des pratiques d’amateurs, les détourner de leur usage habituel.

jeudi, septembre 18, 2008

A la manière d'un miroir reflétant un autre miroir, à l'infini (un nouveau diptyque urbain)









Photos Yannick Vigouroux,
« Paris, L. 6, 16 sept. 2008 »,
de la série « Underground »
(Sony Cybershot)





« Le mot usé jaillissait comme un caillou au soleil. »

(Jean Rivet, Répétitions, 1991)



Une gageure est à l'origine de ce recueil : comme il s'en explique dans la préface, le poète s'est imposé de rédiger un texte par jour, pendant un an.


J'ai retrouvé sur le marque-page une brève note que j'avais rédigé l'année de la parution du livre (j'étais à l'époque étudiant à l'ENSP d'Arles) : « Faire la même chose en photo ? Un autoportrait par jour... » Ce que je n'ai jamais fait. Et pourtant, j'aime beaucoup cette idée de « répétition » : accumuler par exemple, ces diptyques urbains depuis quelques mois, si proches et si différents à la fois, qui semblent se répéter à l'infini, mise en abyme dans la mise abyme, à la manière d'un miroir reflétant un autre miroir...


D'autres diptyques récents :

http://yvigouroux.blogspot.com/2008/08/un-autre-diptyque-possible-aot-2008.html

http://yvigouroux.blogspot.com/2008/08/comme-une-chrysalide-irrelle-un-nouveau.html

mercredi, septembre 03, 2008

BLEU-GRIS (Luc-sur-Mer, Normandie, 3 sept. 2008)


Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 975, Luc-sur-Mer
[vue de l'Hôtel Le Beau Rivage],
Normandie, 3 sept. 2008 »
(Sony Cybershot)





Luc-sur-Mer, Normandie, 3 août 2008. Ici le bleu est gris, le ciel, la mer et l’espace semblent s’étirer à l’infini, le temps suspendu ; je comprends mieux, je l’avais presque oublié, pourquoi cette côte a été surnommée la « Côte de Nacre », en observant la crête parfaitement nacrée, justement, d’une vaguelette qui semble un fragment de seconde figée, hésite, puis vient mourir sur la grève…


Et si nos vies, nos espoirs et déceptions, n’étaient, à l’image de ce fragment d’écume, qu’éclats de BLEU, du gris étale presque blanc cristallin au bleu sombre et profond ?

mardi, août 26, 2008

« Correspondances » : un jardin d’enfance et de rencontres… (Phoebe Dingwall et Remi Guerrin)





Phoebe, la vie donnée, rencontrée.



La base de la création serait-elle dans ce désir de transcender la matière, de deviner le secret qui se cache dans les petites choses de la vie, dans la main tendue d’un enfant, dans le vélo qui roule sur la route, dans les entrelacs d’un verger oublié… ?

Les études réalisées par Phoebe sont issues du cœur même de sa vie intime, de ce qui l’entoure, et se déclinent en une énergie particulière : un jardin d’arabesques et de coloris où les apparentes symétries se courbent comme une danse. Tout ce qu’elle observe, voit, découvre dans son environnement est prétexte à une recherche picturale. Elle intériorise l’univers de ceux qu’elle rencontre, les lieux qu’elle visite, les gens qu’elle voit et regarde … Tout son imaginaire s’imprègne alors de son monde intérieur en confrontation quotidienne avec le monde extérieur et c’est ainsi qu’elle nous convie à découvrir ce qu’elle ose dévoiler ensuite.

Des oeuvres végétales, géométriques aux lacis botaniques. Un bassin aux poissons ; un parterre où poussent des herbes médicinales ; une cabane d’enfants ; des rues animées ; un visage esquissé ; un potager au pied d’un immeuble ; une pièce d’eau aux nénuphars.

Des lettres et des mots pigmentaires qui se chevauchent, se superposent, se fuient, se retrouvent ; des abstractions qui racontent la vie rencontrée. Une plantation de calligraphies aériennes, féminines, entières.

Les contrastes, les ombres, les nuances sont parfois inattendues, mais offrent la perspective de différentes émotions canalisées, comprises, transformées, proposées.

Tous ces aspects donnent à sa toile ou à son dessin une dimension d’enluminure ouvragée, une pièce d’orfèvrerie, un bijou précieux.

La mémoire de Phoebe forme l’empreinte, la matrice de son œuvre. Carnets de voyages, carnets d'ébauche, croquis, notes, mots, dessins épinglés. Représenter ce qu’elle remarque, ce qu’elle distingue. Trouver un chemin jusqu’à la profondeur de l’autre. S’interroger sur le sens de son œuvre. Transmettre aussi. Partager. Phoebe est dans le don, d’elle-, de son travail, de sa vie. Elle parle avec son corps, ses mains, elle raconte aussi. Dans la plénitude ou l’harmonie. Dans le rejet ou la contestation. Continuer ? Gommer ? Recommencer ? Toujours approfondir, délimiter pour sortir de cette limite. Aller au-delà.

Les allégories formées par les entrecroisements me rappellent des ornements arabo-andalou de sculpture, des éléments d’architecture : fruits, feuilles, fleurs, drapés articulés suivant un assemblage capricieux, fantaisiste ? Certainement pas ! Chaque instant posé est démarqué, choisi, extériorisé, effacé, ôté ou gardé… Un tissage méticuleux, pointu et voilà une bourrasque colorée qui donne à l’œuvre sa respiration !

Phoebe est dans le don de la vie regardée ; elle incarne « la vie rencontrée «

Elle questionne les gestes des enfants dans la rue, au jardin public, dans les écoles. Elle remarque, attentive, les marques du passé qui déjà ébauche son ouvrage. Peur, inquiétude, hésitation. On ne peut obliger l’enfant à se taire. Il fera semblant, peut être ? D’être silencieux mais il pensera…

Rester dans le silence. Cela veut-il dire vraiment quelque chose ? Le silence ? un temps de rêve, de paroles muettes, de souvenirs, d’explorations…

Aucune distance, aucun silence ne nous éloignent du jardin des enfances, de ce que l’on garde en nous comme une occasion d’éclosion et de coquilles, d’éclats, d’écales, de brisures et de rires et de couleurs.

Un endroit où les jouets sont absence, un endroit où l’on ne se distrait plus. L’enfance : l’origine de la vie qui n’est pas un jeu. Ni une cour d'école ; c’est s’éloigner d’un songe et pourtant s’approcher de soi-même, de son mystère personnel et le rapprocher de celui des autres.

Des herbes, des pierres, des eaux s’échevellent, tourbillonnent autour de nous, nous enserrent parfois.

La mémoire peut être vampire ou méduse. Le cœur porte en lui maintes blessures. Ce n’est pas toujours fortifiant ou tranquillisant d’être un petit.

Ce lieu de rencontres : Correspondances, qui nous ressemble, comme une île close, un paradis retrouvé.

De vive agitation, cette femme qui marche dans la rue, ses cheveux volent au vent. Des voisinages inaccessibles, des tombes aux fleurs fanées, des cahiers ouverts, des fenêtres scellées. Des mutismes ou des cendres. Des labyrinthes au verger clos, des murs de discrétion où coulent les voiles d’une mesure, une pause qui devient suspension, une halte dans l’effervescence, les vacances.

Correspondance, concordance, coïncidence… Conversation. Déployer un faisceau de clarté afin qu’il illumine les instants de l’enfance en vacances : la plage, le sable, la mer…

L’enfance est un état si difficile, non un Eden ; Chacun possède son parterre d’errances, d’instants fragiles, dénudés, trop douloureux. Ce n’est pas un îlot de bonheur. Loin de là. Elle laboure, lamine également. Nos propres enfants deviennent alors les ferments de cette interrogation sur ce que l’on a vécu ; illustrent ou imagent par leurs attitudes, leurs mouvements, leurs mimiques et leurs gestes ce qui est présent en nos souvenirs.

La photo sur la feuille de papier appelle une réponse ; elle suggère, elle questionne : je suis dans un espace clos, celui de la feuille de papier… S’arracher aussi à toutes ces enfances entrevues, lues, reconnues. Là-bas, l’Ecosse, les peintures et les livres d’images, les photos et la maison … Le bord de la mer.

Marine imagination, et si la mer nous semble bleue, est-ce ainsi véritablement qu’elle se présente à nous ? Une photographie comme une voix qui me parle…

Un pigment comme un chant qui me sillonne, toucher le papier en un premier instant pour entrer dans l’espace de l’autre…

« Lorsque tu me dessines, je sens une forme qui sort de mon corps, une empreinte de moi-même. »

Chaque moment est en fragile équilibre. L’éphémère nous attire et nous ennuie…

S’amuser…Muser… Jouer avec les lettres, les couleurs.

Ne plus s’ennuyer, combattre la peur, se battre contre la mer… Et le château de sable inévitablement sera détruit ; Se battre dans le vent. Le jeu de Don Quichotte…

Des écumes lunaires, des ombres laiteuses, un vert si tendre aux racines naturelles et la main aux doigts repliés qui va appuyer sur la détente. La cible ne bouge plus. Des éclairs surgissent, inondent l’espace… Le jeu entièrement abreuve nos corps. Et nous porte à un autre temps de rêve. J’entends le bang.

Ces souvenirs comme des papiers, des cahiers d’écolier griffonnés, des albums de photos, des carnets de vacances, et cette douleur, ce passé qui s‘échappe… Lampe d’Aladin… Jardin d’Alice… Fumées dans la ville…

Tout ce passé que l’on ne peut rattraper, reprendre, et la mer, l’enfance, les livres et les mots dispersés…Tout ce qui ne nous appartient plus.

Les livres d’images : pour moi tout est image, miroir ou reflet, forme, transcription, évocation, autre perception. Se tendre vers une visée qui change toujours.

C’est si important de réunir ce qui est dispersé, ce qui est détruit, ce qui se transforme. Les enfants, les familles, ces petits garçons seuls devant la mer et ce sable presque gris qui va être englouti ; Ces visages de fillettes qui regardent au loin ; Se battre contre l’engloutissement et pourtant l’accepter car c’est ce qui arrivera.

Un rythme de colère aussi, une impulsion d’offrande, de genèse à la limite de la plus pure intimité. Des pigments d’or, d’argent qui s’entremêlent en rompant la symétrie. Des flashs rougeoyants, des soleils éclatants ou des lunes d’automne.

Les œuvres de Phoebe sont des poèmes qui révèlent l’intimité de sa mémoire ; des tableaux semblables à des alcôves tendres, secrètes ; des images de Pandore également qui agressent ou interpellent ; une Alhambra qui devient le rythme de notre regard ; des murmures légers qui nous caressent ; des chambres noires où s’ancrent des photographies, des chambres où naissent les enfants, des chambres d’amour et d’abandon, des chambres comme des vergers aux différentes saisons ; des peintures dans lesquelles on aimerait entrer, pénétrer .

Là, sur le côté, quelques coquillages qui s’enroulent en robes orange ; des escargots gris sur fond de ciel étoilé ; des pastilles dorées : bonbons acidulés ; des éventails déployés qui surplombent la lettre A, jaune comme l’étoile de David ; des L, liés, déliés, lien entre les images.

Une solitude habitée de vivante alchimie, d’isolement, d’apaisement, de dépouillement. La vie retrouvée, accordée, attirée. Une ambiance exubérante ou foisonnante. Et un monde d’icônes à la transparence qui chante.

Phoebe nous offre la richesse de sa présence chaleureuse, de ses doutes, de ses interrogations. Univers aquatique, boules d’herbes qui volent dans le désert Andalou, des nuages estompés, des rivages abrupts, des ballons qui roulent ou des bulles qui s’envolent.

Elle jongle entre l’interruption : ligne cassée, courbe enfantée, grille fermée, fenêtre ouverte et la correction : elle épure, délave, ajoute, retranche, rature, joue de couleurs, de pigments comme d’une substance emplie de force.

Œuvre en devenir « cette œuvre n’est pas finie » …

Pudeur et dépouillement sont les matériaux de son atelier où son cœur est le centre : l’athanor où elle travaille sans fin au kaléidoscope Byzantin de la vie rencontrée.





Remi Guerrin, le jardin des enfants bleus.



« C’est une peinture ancienne

Dans une église de mon pays

C’est un petit garçon

Qui veut vider la mer avec une cuillère… »

(Poème de Julos Beaucarne)



Le foisonnement de ces images d’un bleu particulier ranime notre enfance disparue, et également toutes ces enfances qui sont si différentes et qui se rejoignent en un lieu unique : celui de l’évocation. C’est ainsi que, devenues prétextes à un temps de repos, à la mémoire d’un temps estival, ces images deviennent pour nous les vacances singulières d’enfants au bord de la mer. Elles pourraient être nos villégiatures, liées à ces terrains littoraux où poussent les panicauts, chardons bleus ombellifères.

Mais enfin pourquoi photographier les enfants, la mer, les cours de récréation ? Que cherche le photographe dans l’enfance, qu’y voit-il ?

« Un potentiel vital non canalisé sauf par le jeu. Courir après la mer, vivre la dévastation de sa propre construction, être Perceval le Gallois, se transformer en un valeureux guerrier, devenir chevalier de la table ronde… »

« Le jeu est libérateur, constructeur. La plage n’est pas un rêve, ni un paradis perdu. La mer est aussi violence, agitation, eau mouvante, sombre, absorbante. «

Il apparaît ici que Pandora a ouvert le coffret mystérieux. Contenait-il des coquillages ? des pièces d’or ? Des images froissées ?

Atelier photographique aux flacons emplis de pigments colorés, aux papiers précieux, aux coffrets où sont rangés les négatifs ; de grands bacs, des carnets de notes, de recherche ; des cyanotypes, des herbiers bleus ou des tirages pigmentaires sur le mur. Et… Des plantes qui sèchent sur des claies alors que pendent des épreuves dans la partie humide du lieu de travail.

Le travail de Remi Guerrin s’élabore entre jardin et laboratoire, en une ferme progression et sans aucune agitation. Une gravité pénétrante alliée à un travail méticuleux permet à ses images d’être rares, inhabituelles et expressives. Sa concentration dont la densité semble proche du recueillement s’unit à une attention soutenue et mesurée, avec des mouvements ou des gestes qui pourraient sembler lents ou interminables mais qui résultent d’un approfondissement nécessaire à « l’extraction » de son image, et d’une association intime avec la musique et la poésie.

Observer la nature, la comprendre, vivre en elle, avec elle, l’étudier sont l’essence même du développement de son oeuvre et de sa recherche artistique. La vie vient de la lumière, elle est naissance, croissance, décroissance, puis mort.

Et recommencement. Une cosmogonie monochrome bleue nous est présentée.

Le bleu : couleur froide, qui éloigne et s’éloigne, qui ouvre un songe ou qui fait frissonner devient maintenant au travers de ces portraits un coloris pigmentaire entier, vivifiant, et léger.

Ce bleu donne aux formes, aux ombres, aux objets une dimension d’infinitude : les instants vécus se prolongent, on trouve son propre centre, on sort de la pénombre. L’oiseau bleu serait celui qui se transforme, qui réalise les rêves, de ciel, de mer, de fleur ou de fougère ; couleur indécise devenue présence.

Jeux de sable qui s’inscrivent en un espace ciblé, et disparaissent dès qu’ils s’achèvent et… L’isolement… Seul dans son activité, seul dans un rêve, seul au sein d’une trêve, l’enfant a des gestes sérieux, presque illimités parfois.

C’était hier, c’était l’été. Un autre été, un autre hier. Une autre plage aussi, mais malgré tout, nous aimions ce rivage et les jeux de sable.

Le château lentement a été construit, avec ses murailles, ses remparts, et puis est venue la longue attente, le soir, au couchant du soleil, avant qu’enfin, ultime délivrance, les vagues viennent inonder la cour du château et l’assaillent, dissolvent la bâtisse et en fassent un amas de sables mouillés.

La destruction de sa création amuse l’enfant. Il aime cela. C’est une réjouissance attendue avec impatience.

C’est comme s’il ordonnait, commandait, comme s’il était le maître ultime de son oeuvre. Faire comme si… J’étais grand, j’étais le docteur, le marin, le savant. Se construire, grandir.

Le jeu devient un chant mouvant qui jaillit du corps, une expression similaire à une danse, un langage de dieu créateur, de démiurge, mais l’enfant sait bien également, au plus profond de lui-même, que le jeu a des règles précises… Qu’il s’arrêtera, qu’il faudra partir, et un jour, revenir, répéter les mêmes pantomimes.

« Viens recouvrir mon château de sable », dit l’enfant à la mer et les vagues dansent, s’approchent, murmurent… Brisent, ensevelissent ; et l’enfant chante, crie et tournoie, les bras ouverts dans le vent salé, heureux de cette disparition.

Pierres bleues de la terrasse. Mer aux coloris mouvants de bleuets qui se fanent. Quelques fruits de mer blancs nacrés aux reflets de nuages effilochés. Les mains de l’enfant se rejoignent. Une quiétude s’installe dans le paradis des sables. Les enfants bleus regardent le scarabée noir. Le soleil est chaud. Sous un oreiller, une boîte où luit faiblement une luciole ; herbes piétinées sous les mûriers. Les fruits noirs tressaillent dans la bouche…

Un tracteur passe sur la digue. Le barrage de pierres rouges accueille des libellules turquoises tournoyantes. Des cailloux jaillissent sur l’eau de la rivière. La paille sèche dans le panier… S’y pose un papillon de nuit. Tout est en intime conversation, le corps des enfants bleus dans l’eau qui se plisse comme un tissu soyeux, les rires et les voix qui s’enfuient vers le lointain du rivage, les cheveux roux d’une fillette, le palet de la marelle dans la cour de récréation, l’écume de la mer sur le seau de plage.

Puis, le soir tombe comme la pomme de l’arbre. La sauterelle se cache dans la fleur rouge. Sur la table, un verre vide. Instants fragiles. Le silence est rompu. Un volet va se fermer, un chien aboie sur la route. C’est août de pâle clarté dans la chaleur céruléenne d’un jour de mer.

Grappes de moules noires sur les rochers, le ciel et la mer sont couleur d’anémone, les maïs jaunes dans les champs… Quelques gouttes de pluie transparente tombent sur la plage. L’eau est trop froide, le petit garçon lève les bras et saute ! La mouette vole trop bas, les rochers ressemblent à des humains endormis.

Deux enfants sautent dans les vagues, éclats de nuit sur les draps, il fait sombre, une lune d’eau flotte dans le ciel.

Il faudra partir tout à l’heure… Mais pour l’instant, les bambins jouent encore. Les navales architectures sont désertées, les parasols sont fermés ; la rive est déserte.

Des nervures, des feuilles crénelées, découpées, un rameau multiplié, des bourgeons gonflés, des fleurs parfumées ; la fécondité verdoyante du verger, du potager, du lieu d’agrément ; la vitalité horticole, se retrouvent dans tout ce bleu, dans ce délassement de sables et d’écumes.

Le jardin des enfants bleus appartient à chacun de nous. C’est un endroit où il est possible de creuser dans l’argile de son histoire intime, de revoir des images qui sont plantées en nous comme l’arbre anthropogonique, des images de vie, vivifiantes, et qui, comme des plantes, poussent, grandissent, se métamorphosent…

Il symbolise pour chacun de nous cette enclave mystérieuse et naturelle où il est permis de se mettre à nu, de se dévoiler, de se sentir totalement soi-même, loin des masques de la persona, loin des brouhahas de la ville, loin du quotidien. Il me semble que la mer représente ici le même symbole, celui d’un endroit chaleureux, de sables et d’écumes où l’enfant n’est pas l’enfant-roi tant décrié par notre société actuelle, mais où il reste celui qui aime jouer et prendre son temps, celui qui souffre aussi, qui connaît des peurs, des doutes, qui se bat pour grandir.

Dans le cadre de la fenêtre, une araignée dort. La glycine rampe sur le mur. Ce qui aère le regard, c’est le clair-obscur blotti en nous. Mais déjà, le crépuscule tremble, les étoiles sont humides sur le sable, les pieds nus glissent sur la mousse verte…

Des images marines ou végétales, d’un bleu de mer, de ciel ou de regard, si bleu, d’une nuance céleste ou d’eau ; le sel brillant sur la peau sèche. Le sable qui vole, entre dans les yeux…

Sauter, nager courir, être enseveli, rire… Être englouti dans le sable, dans la mer… Plonger, partir, revenir, les seaux de plage, les pelles, les algues et tant de boîtes, à musique, à trésors, à ressorts, à photos… Une humide et salée poésie s’imprime dans le cœur.

Jardin des cyanes apaisements. Il n’y a pas de silence dans la vie, dans la nature, nulle part, ni ici, ni ailleurs. Le silence n’est qu’absence de sons ! Muettes images ? Non, chacune possède sa sonorité particulière et cette correspondance d’images se propose reposoir, laboratoire enchanté.

«Correspondances» : images bleues d’enfants qui s’amusent, enluminées de peintures foisonnantes, colorées, printanières, fulgurantes. Elles rendent proche le geste incisif de la main tendue au revolver brillant sous un rayon de soleil, de la main bleue qui s’appuie sur le papier, du corps qui se tend vers le nuage, du drapé des herbes enroulées sur la tombe, des piments qui sèchent au soleil.

Le sens du silence dans le creux paisible des sables serait dans l’attention à tous ces bruits qui animent la nature, à une collection de sons assourdis par le ressac : des voix parlent, crient, murmurent ; un grand-père raconte des histoires d’horreur à ses petits-enfants, une jeune femme aux seins nus écoute sa radio, un bébé hurle sa faim, l’enfant court après son ballon multicolore, un chien aboie en sautant dans les vagues…

Un cosmos poétique, des mains qui dansent, tournoient, ouvertes aux doigts si lumineux… Rappel des grottes préhistoriques mais ici le bleu a remplacé l’ocre rouge rituelle. Des mains comme des ailes, mains aériennes, mains d’enfants, de jeune fille, résistantes à l’emprise du vent, mains si terrestres aussi qui modèlent la chair, la matière.

Dans le reflet du nuage, de la flaque d’eau, les empreintes des chevelures blondes, les garçons escaladant les rochers, la jeune fille rêveuse dans sa chambre.

Je sais bien que les enfants gardent dans leurs poches à merveille coquillages, rayons de lune, éclats de soleil, crustacés morts, lucioles…

Les Indiens racontent que la mouette gardait dans une cassette sombre la clarté du jour et que le corbeau la cassa afin que les enfants vivent dans la lumière.

Ce travail serait comme l’ouverture d’une boîte à secrets, comme le début d’un récit : sur la feuille de papier vierge, les pigments s’assemblaient pour former une histoire, des couleurs s’y associaient créant une genèse d’enfance : le repos dans la légèreté, la rondeur du ballon, de la bulle, d’une nuque, un unique mouvement, poisson volant, oiseau ployé par la vague, enfant couché dans les goémons…

Cette correspondance entretenue entre photographie et peinture est devenue une allégorie, une intime mansarde végétale, un jardin suspendu, une enceinte sacrée, un lieu de croissance et de repos, un temps de récréation.

(Véronique Guerrin)


L'exposition « Correspondances (Phoebe Dingwall et Remi Guerrin) » est présentée
à l'Espace 36
36, rue Gambetta
62 500 Saint-Omer

Ouvert du mardi au samedi de 15 h 00 à 18 h 00

Tél : 03 21 88 93 70

jeudi, août 14, 2008

Un autre diptyque possible ? (août 2008)


Photo Yannick Vigouroux,
« Diptyque, Paris, août 2008 »
(Sony Cybershot)





La photo a été prise, en compagnie de mon ami Benoît Géhanne, dans le même café à Paris, près du Canal Saint-Martin que les deux photos du diptyque http://yvigouroux.blogspot.com/2008/08/comme-une-chrysalide-irrelle-un-nouveau.html

Mais cette fois, au lieu d'associer deux vues différentes, j'ai préféré « découper » une vue en deux...

Et inverser la disposition de chacune des parties (au départ ce qui est à gauche est à droite, et inversement...). Les notions de « marge », d' « espace entre-deux » m'ont toujours passionné. Je tente, ainsi, une nouvelle déclinaison formelle de ces préoccupations. Et d'utiliser les ressources expressives de l'accident, la photo ratée : quelqu'un, fantôme flou de pixels blancs, s'est interposé entre moi et la personne photographiée.

mardi, août 12, 2008

Un autre diptyque urbain (juillet 2008)



Photos Yannick Vigouroux,
« Paris, juillet 2008 »
(Sony Cybershot)




Pour réussir à photographier de profil cette jeune Américaine (comme en attestait son accent), j'ai du zoomer avec mon appareil numérique et éviter, ou « composer » avec les nombreux obstacles que rencontre un photographe de rue : d'autres passants, et surtout les inévitables voitures en mouvement qui constituent autant de menaces physiques pour les piétons, y compris celles en stationnement qui constituent un chapelet d'écrans.


De cette difficulté est née l'idée de ce diptyque. La voiture que j'avais photographié sans le vouloir présente finalement un réel intérêt visuel me semble-t-il, une fois mis en regard de la photo de cette passante (et outre ces belles et grandes bottes marron mais presque incongrues par grande chaleur – la mode dicte ses lois qui défient souvent le bon sens, la raison ! – ; ces signes accrocheurs : un palmier trop bleu surmontant « SOLDES »).

lundi, août 11, 2008

Comme une chrysalide irréelle (un nouveau diptyque)



Photos Yannick Vigouroux,
« Paris [La Femme chrysalide], août 2008 »
(Sony Cybershot)





J'aime le côté flottant de ce corsage blanc et flou, qui ressemble tant à une chrysalide irréelle et diaphane...

Un hommage nocturne à « Fenêtre sur cour » (1954) d'Alfred Hitchcok

Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 958, Paris, août 2008 »
(Sony Cybershot)




Fenêtre sur cour (Rear Winow) : j'ai vu ce film, réalisé en 1954, d'innombrables fois.







Il fait bien sûr partie de mes films préférés et m'a donné envie de rendre au maître du suspens cet hommage photographique nocturne...

jeudi, juillet 31, 2008

L'opacité bleutée d'une lumière paradoxale (mes derniers autoportraits)

Photo Yannick Vigouroux,
« Darkness, Self-Portrait # 8, Paris, 30 juillet 2008 »
(Sony Cybershot)




L'opacité bleutée d'une lumière paradoxale qui aurait des velléités de transparence, parfois (une petite lanpe-torche que je place sous mon menton), et qui durant ces longues heures nocturnes et solitaires d'insomnie, me rassure autant qu'elle m'effraie, tant mon visage semble se révéler autant que s'effacer... Cristallisation floue du visage de l'absent ? (je me sens tellement étranger au monde extérieur et même à moi-même depuis quelques mois).



Photo Yannick Vigouroux,
« Darkness, Self-Portrait # 4, Paris, 30 juillet 2008 »
(Sony Cybershot)

mardi, juillet 29, 2008

Des bleus, des photos et des récits qui se répondent...

Photo Yannick Vigouroux,
« Gare de Saint-Cyr, 21 juillet 2008 »
(Sony Cybershot)




A propos de cette photo prise à l'arrêt de la gare de Saint-Cyr, il y a quelques jours, j'ai échangé avec Véronique Guerrin quelques messages sur Flickr, des variations (bleutées) selon moi sur le thème de « La Femme en rouge » ou de « La Jeune Femme à l'écharpe verte » etc.) :


    « - Véronique : trois bleus qui se répondent dans l'éclat du soleil et [qui] crient "Saint-Cyr terminus" ; la jeune femme au pantalon bleu sommeillait.

    - Yannick : Il y a quelque chose de rassurant, de réconfortant dans le lâcher-prise de ce demi-sommeil... qui me gagne aussi souvent, surtout lorsque c'est l'été et que les wagons non climatisés sont surchauffés ! J'aime aussi ces bleus qui se reflètent et se répondent...»



La jeune femme portait autour du cou un collier en or représentant la botte italienne ; justement je songeais, à ce moment-là, à l'Italie, Napoli surtout... Est-elle Napolitaine, ou Sicilienne ? Je n'ai pas osé lui poser la question car, en France, il n'est pas seulement plus difficile de prendre des photos des personnes sans l'accord préalable (et pas seulement pour des raisons, même légitimes, de droit à son image), il est encore plus difficile d'établir un contact, d'évoquer, durant ces trajets lents et ennuyeux, nos origines, notre vies, nos déceptions et nos espoirs...

mercredi, juillet 23, 2008

Autoportaits bleus, Caen, juillet 2008

Photo Yannick Vigouroux,
«
Blue Self-Portrait # 26, Caen [Le Chemin vert], 18 juillet 2008 »
(Sony Cybershot)




Me laisser glisser lentement
dans ce puits sans fond
ce silence nocturne
qui m'enveloppe
bleu et profond

Pas un bruit ou presque
seulement celui du sang
dans mes veines
le battement de mon coeur


(Caen, nuit du 18 juillet au 19 juillet 2008)



Photos Yannick Vigouroux,
« Blue Self-Portraits # 16, 24 et 23, Caen [Le Chemin vert], 18 juillet 2008 »
(Sony Cybershot)



Lu la même nuit d'insomnie :

« Refusant de s'éveiller, elle se blottissait en elle-même, cherchant le réconfort de sa propre chaleur, de son odeur, du mouvement de son sang dans ses veines, du passage rythmé de l'air dans ses narines qui se pinçaient à chaque aspiration. »

( Simenon, Betty, 1961)



Photo Yannick Vigouroux,
«
Blue Self-Portrait # , Caen [Le Chemin vert], 18 juillet 2008 »
(Sony Cybershot)



Des correspondances, encore, mais cette fois avec un auteur d' «outre-tombe», expression qui me fait penser à ce «bleu outremer» que j'aime tant.

vendredi, juillet 04, 2008

La fatigue qui me transforme en une chrysalide vide...

Photo Yannick Vigouroux,
« Paris, novembre 2006 »,
de la série « Underground »





Anne-marie m'écrit aujourd'hui :

« Je réfléchis pour un texte sur Foto Povera (CF. http://fotopovera.blogspot.com/), j'aimerais parler du vide, dont nous sommes faits aussi.

Mais il y a vide et vide, comme dirait Yannick... »

Dans nombre d'états seconds de fatigue, comme ceux que je rencontre pendant les longs voyages que j'accomplis chaque jour en métro et en train de banlieue, je ne perçois qu'une réalité fragmentaire, plus confuse et discontinue que jamais.



Photos Yannick Vigouroux,
« Paris, novembre 2006 »,
de la série « Underground »



Mes sensations sont flottantes ; les êtres et les choses qui m'entourent, mon corps lui-même, ressemblent alors à des chrysalides vides.

mercredi, juillet 02, 2008

Elaborer une fiction : la méthode de la « vérification par la vie », selon François Truffaut

Photo Yannick Vigouroux,
couverture du livre d'Antoine de Baeque et Serge Toubiana,
François Truffaut, 1996
(Polaroïd i 733)




« [...] la dénomination de "bourgeois" est l'attaque d'une façon de vivre. Je n'ai pas de façon de vivre (je ne vis pas, en dehors du cinéma), je n'ai pas l'impression que cela s'adresse à moi et s'il s'agit d'un malentendu, je ne suis pas impatient de le dissiper. » a déclaré François Truffaut...

(cité par Antoine de Baeque et Serge Toubiana, François Truffaut, 1996,p. 516)


« En partant de souvenirs précis, liés à sa propre enfance ou adolescence, Truffaut pratique donc ce qu'il appelle la méthode de "vérification par la vie", consistant à dissimuler le caractère autobiographique derrière plusieurs détails vrais ou de petits récits que ses scénaristes recueillent au cours leurs enquêtes. Ainsi, Truffaut parvient à donner un sens à la fois plus concret et plus universel à son propre matériau autobiographique. Car son idée directrice est toujours la même : éviter la mode et les clichés, ne pas chercher à être "de son temps" »

( Ibid., p. 518-519)

mercredi, juin 18, 2008

« ASKLEPIA. L’an 2079. CHRU Lillenville », nouvelle de science-fiction de Véronique Guerrin

Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 231 [Hôtel de Vigny],
Paris, 8 juillet 2079 »
(Digital Pinhole / Sténopé numérique)



« Window # 231 », est l'image qui a fortement inspiré la nouvelle de science-fiction de Véronique Guerrin, ainsi que, dans une moindre mesure les « Windows # 222, 226, 2224 et 230. (Pourquoi avais-je daté ces images comme si elles l'avaient été en 2079 ? Parce que c'est la date qui s'affichait désormais sur mon appareil numérique Sony cassé et déréglé, transformé en sténopé.)


Véronique avait en effet, d'abord écrit sur Flickr, à propos de ces images :



« Window # 231 » :


« La nuit allait tomber. je n'entendais que le grincement des charriots blancs chargés de draps qui traversaient la cour de l'hôpital. Quelques automobiles clairsemées sur le parking. Une odeur de soupe se mélange à celle de l'antiseptique, des pas feutrés, une porte qui claque...
J'essaie de m'assoupir... Je dors d'un sommeil entrecoupé, étrange et qui me rend étranger à moi même.
Je me lève, je regarde par la fenêtre qui ne s'ouvre pas... je me sens comme un oiseau mais je n'ai pas d'ailes...
Le professeur et ses "disciples" sont passés ce matin dans ma chambre anonyme...moi aussi, je suis anonyme...
On entre, on soulève le drap, on m'observe, on parle...Un brouhaha de mots, un jargon incompréhensible et les voilà repartis...


Je n'ai rien compris et on ne m'a même pas adressé la parole...


j'essaie de dormir...j'essaie de guérir... je veux partir...


ces murs gris m'environnent... ces barres de fer, ces claquements, ces grincements et je tombe dans un rêve ...


Je vois un jardin et une balançoire... Je cours vers mon chien qui frétille de la queue et il aboie... Non, ce n'est pas lui... c'est quelqu'un en blouse blanche qui me demande si je dors bien !!!
Qui me retourne, me soulève, m'asperge d'eau de Cologne qui sent trop fort et qui est si froide et qui glisse dans mon dos...


Bonne nuit ! »







« Window # 226 [Hôtel de Vigny], Paris, 8 juillet 2079 »


« Il restait sur le fil du toit
de grises cendres envolées aux coloris d'un automne précoce
la trace légère du funambule qui avait dansé et bougé

debout et seul
toute une après-midi


je revois ses longues jambes au collant blanc
et sa pantomime de pierrot
avec ses si larges manches
des nuages arrachés au ciel. »




« Window # 224, Paris, 8 juillet 2079 » :


« C'est un drap blanc
comme celui qui sert à une scène de théâtre d'école,
comme celui du lit que lon refait dans la chambre du viel hôpital,
comme un linceul que l'on a enleé du corps dans la morgue,


un suaire, un bout de rêve aux ombres grises intermittentes,
un pan de ciel de it ou de songe éteind
une porte ouverte, une armoire solitaire...
une gigantesque blouse dans un laboratoire de géant ! »




« Window # 230 [Hôtel de Vigny], Paris, 8 juillet 2079 » :


« Dans la chapelle du vieil hôpital, les anges s'ennuient... Quelques araignées fécondes tissent des toiles dans les coins où dorment les statues qui se décolorent. La poussière s'appesantit sur les bancs de bois vermoulu.
Un christ de bronze veille et penche la tête vers la porte qui ne s'ouvre que rarement...
Il n'y a plus d'aummonier! c'est une dame qui le remplace de temps en temps, lorsque très rarement, on demande une présence pour un agonisant...


D'ailleurs, parfois, on n'a plus le temps ni le droit d'agoniser, de rendre l'âme, de vivre sa mort... »





« Window # 222, Gare de St-Quentin-en-Yvelines, 5 juillet 2079 » :


« La soucoupe volante s'était écrasée sur la terre
calcinant les herbes et déposant sur l'argile à peine humide de l'aube
une couche charbonneuse criblée de points bleutés
la carcasse de la machine gisait
brisée en plusieurs endroits
comme effilochée, disloquée...
un jouet d'enfant oublié au fond d'un jardin. »


Et voici la nouvelle :




« ASKLEPIA

L’an 2079
CHRU Lillenville



La nuit tombe. Le crissement des roues des charriots chargés de draps dans la cour du vieil hôpital. Un fumet de soupe se mélange à l’odeur de l’antiseptique. Des pas feutrés, une porte qui claque, le son perçant d’une télévision.


Je dors d’un sommeil entrecoupé qui me rend indifférent à moi-même. Le professeur du service, ses internes sont passés ce matin dans ma chambre anonyme. Moi aussi, je suis un incognito. Ce qui est désigné, c’est le nom que porte ma maladie !


On entre, on soulève le drap, on m’observe et j’ai froid ! C’est la fraîcheur des regards qui me glacent plutôt ! Car l’ambiance est surchauffée. Un brouhaha de mots, un jargon incompréhensible et les voilà repartis ! le drap reste ainsi, au bout du lit, mon corps figé, la porte entrouverte.


Je n’ai rien compris. Personne ne m’a adressé la parole. J’essaie de dormir, de guérir, je veux partir.


Des murs gris, des barres de fer m’environnent. Des bourdonnements, des grincements venus des machines de respiration, d’alimentation. Des tuyaux dans mon nez, dans ma gorge, qui me font mal. Mes paupières s’alourdissent.


Je vois un jardin. Je cours vers mon chien qui frétille de la queue, qui aboie. Ouah ! Ouah ! Non, ce n’est pas lui, c’est un robot-soignant qui me demande si je dors bien ! Qui me retourne, me soulève, m’asperge d’eau de Cologne, si froide quand elle me coule dans le dos. Sa main énergique frotte ma peau quelques secondes puis tout disparaît : le couloir illuminé, le couinement incessant des chaussures, les voix électroniques.




Photo Véronique Guerrin,
« 6 h 31, Lille, 24 mars 2057 »
(Polaroïd i 733)



Il ne reste qu’une lueur diaprée qui joue dans l’interstice de la fenêtre. Lentement, ma chambre d’hôpital s’estompe. Une dame apparaît, me guide à l’intérieur d’un vaisseau de métal sombre puis disparaît. Je pilote et traverse l’univers, me déplaçant à la vitesse de la lumière vers une cité inconnue située plus haut que les galaxies.


Je suis pris dans des tourbillons de poussières, de mercure. Le vaisseau se disloque, les vents pluvieux secouent l’habitacle aérien, le tonnerre gronde. Un éclair violent éclate. Les instruments du tableau de bord se désactivent. Je chute pour atterrir sur une terre plus sombre que le cratère d’un volcan éteint. Je crois que je suis mort. Tout est si ténébreux.


Mais j’entends une douce mélodie. Une clarté me révèle un jardin, au cœur d’une cité merveilleuse. Je suis arrivé sur la planète Asklépia, une étoile éclairée de lueurs vertes qui évoluent autour d’elle. Elle se déplace en vrille dans l’espace, au rythme d’une légère résonance.


Panacée, la dame de l’engin spatial m’attend. Elle me conduit au laboratoire de Télesphore. Une grotte ouverte vers le ciel dont la porte taillée dans le roc est une mandorle. De petites étoiles s’y agitent, des éclats singuliers dansent sur les parois de pierre. Je lève la tête.


Je vois une lune pleine. Elle déverse un cône de lumière dans la salle. Télesphore me place en son centre. Je deviens plus léger, plus transparent ; je sens qu’une force pénètre en moi, irrigue doucement mon corps.


Coiffé d’un capuchon, revêtu d’une longue robe verte ceinturée de blanc, il tape trois fois sur ma tête avec un bâton d’émeraude. Des serpents aux couleurs d’arc-en-ciel en sortent, entrent en moi. Je vois jaillir de mon corps un monstre hideux au visage déformé par la colère, une manière de génie malfaisant, l’image de ma maladie. Ce cancer qui m’est étranger, qui s’est lové en moi sans que je m’en rende compte. Ce crabe taciturne, rusé qui s’est joué de ma vie. Je le vois, il vocifère, il gesticule.


Trois êtres étranges aux oreilles pointues, en robe d’aluminium l’enferment dans une fiole transparente. L’un d’eux, Taranis, dépose le flacon dans une armoire éclairée de lueurs verdoyantes.


Panacée tient entre ses mains un globe en or qu’elle sépare en deux parties. S’en échappent des virus, des microbes, des bactéries. Une pyramide de flammes s’élève autour d’elle, formant une colonne de feu qui tourne en spirale. À son sommet, un serpent d’or s’enroule autour d’une croix. Taranis y jette la fiole qui crépite maintenant.


C’est alors qu’une lionne gigantesque s’avance vers moi ; de sa gueule ouverte jaillissent des myriades d'éclats embrasés qui m'enserrent. J’ai peur mais stupéfaction ! je ne ressens plus aucune douleur. Je me sens si bien.


Je découvre alors que je me trouve dans un espace-temps différent. Les deux aiguilles et les chiffres de la montre que je porte à mon poignet ont disparu.


Nous marchons dans le verger, sur une herbe chaude, entouré d’arbres fruitiers où miroitent de minuscules lunes d’argent.


L’aube se lève. Télesphore m’offre l’un de ces fruits en souvenir. Je le salue et il me quitte.


Panacée m’accompagne dans une machine volante transparente. Pendant le vol, elle me parle :


" - Notre cité existe depuis longtemps. Un regard dans un miroir, une pendule qui s’accélère, une sonnette qui tinte toute seule. Différentes façons d’approcher un malade pour l’aider. Non, ce ne sont pas les fantômes, ni les morts qui hantent les couloirs de l’hôpital, mais les hommes et les femmes d’Asklépia. Le futur, ce qui existera demain, dépend nécessairement du passé. Depuis des temps lointains la mémoire de l’humanité détient les secrets de la vie et de la mort. Et nous en sommes les dépositaires. "


Nous descendons en vol piqué vers la terre, atteignons le toit de l’hôpital où se cache ma chambre.


Je glisse dans le sens inverse des aiguilles d’une montre le long d’un toboggan lisse, invisible, un vertige me saisit, je traverse un voile qui se déchire.


Me voici allongé dans mon lit, un fruit scintillant dans la main. L’infirmière entre. Je lui demande :


" - Ce sera comment l’hôpital du futur ?

- L’hôpital du futur ? C’est quoi le futur ?

- Et si mon rêve devenait réel ?

- Chaque rêve se réalise un jour… "


Je lui souris car je sais que demain je sortirai. Sur le cadran de sa montre, il n’y a ni chiffre, ni aiguille. L’infirmière porte en pendentif une lune d’argent. »

(Véronique Guerrin)

vendredi, juin 13, 2008

« Insomnia », les spectres photographiques de Philippe Calandre


Photos Philippe Calandre,
de la série « Insomnia », Taïwan, 2007



Des spectres surgis de la nuit, statiques, immobiles face à l'objectif et prisonniers de leur condition de « morts-vivants ». Littéralement figés, à la manière de ceux du cinéma fantastique. L'on est en plein cauchemar, comme si, somnambule, après avoir erré des heures sans se savoir, l'on se réveillait soudain, face à une cette image arrêtée des autres et de nous-même : nous découvrons soudain que nous faisons, partie, immobilisés dans la même catalepsie fatale, d'une obscure communauté, celle du Royaume des ténèbres ou bien d'une secte infernale ?


La photo possède un pouvoir mortifère, cela a été bien démontré dan les écrits d'André Bazin puis de Roland Barthes ; l'artiste s'amuse à croire, à la lettre, à ce pouvoir.


Lorsque j'ai discuté la première fois de cette nouvelle série avec Philippe Calandre, je me souviens qu'il a nommé celle-ci « Les Pyjamas »... Et en effet, ses modèles posent en tenue de nuit, tee-shirts blancs, et pyjamas, parfois en partie dénudés. Les bras et les mains plaquées contre le corps ou légèrement écartés : le garde-à-vous règlementaire de ces soldats blêmes du néant.


La série « Les Pyjamas » : une manière pour Philippe, avec son humour habituel de conjuguer « ironie » avec « onirisme ». De rappeler aussi la dimension très prosaïque de cette croyance aux fantômes, son ancrage dans la vie de tous les jours. Des spectres qui n'auraient finalement rien de très spectaculaire, dans leur apparence et leur comportement, comme en attestent un cinéma asiatique contemporain qui n'a pas besoin d'effets spéciaux hollywoodiens pour faire peur, dans des films qui s'apparentent plus à la série B qu'à la super-production : un écran de télévision qui grésillent, parcouru d'images étranges, un téléphone qui sonne, un portrait déformé à la manière d'une toile de Francis Bacon y suffisent (Cf. les Ring # 0, 1 et 2, films japonais du début des années 2000) y suffisent... (C'était déjà le cas aux États-Unis, en 1968, avec un film mythique qui a forcément marqué Philippe comme nombre d'adeptes du genre, à la limite du cinéma amateur, dont les imperfections techniques, associés au clairs-obscurs, renforcent habillement (mais peut-être involontairement ?) la dimension horrifique des séquences : La Nuit des Morts-Vivants / Night of the Living Dead).


Mais, s'il y a des influences réciproques, le langage photographique n'est le même que le langage photographique : il y de l'humour dans le faire poser ces personnes dans ces tenues de nuit – requête bien inhabituelle – mais Philippe ne recourt à aucune imperfection pour créer une atmosphère étrange, inquiétante : les modèles posent dans un beau clair-obscur dramatique, où de longues ombres portées tracent parfois des perspectives menaçantes. Ces photos en noir et blanc, parfaitement maîtrisées techniquement, sont d'une grande qualité esthétique sans être esthétisante. Si elle provient des habitations, la lumière semble émaner des corps cernés de halos ; certains ressemblent à des chrysalides diaphanes en cours de métamorphose ; d'autres, dont la transformation serait achevée, à ceux de créatures libérées de toute pesanteur et prêtes à l'envol (des « fantômes volants » comme on en rencontre des contes chinois)...


Cette série a été réalisée à Taïwan. J'ai interrogé Philippe, bien sûr, sur la question des « spectres », le rôle qu'ils jouaient là-bas dans l'imaginaire des gens. « J'ai fait ces photos en sachant qu'ils avaient peur de cela. Le spectre est à l'origine de chaque chose qui peut t'arriver de mauvais : tomber d'une échelle, n'importe quel accident... Il en est toujours à l'origine ! Toutes les images prises la nuit se ressemblent non ?... » m'a t-il répondu.


Oui et non. Car Philippe aime ici, comme d'habitude, cultiver le plaisir du de la répétition et du décalage.





Photos Philippe Calandre,
de la série « Insomnia », Taïwan, 2007



Reste qu'en Asie, le spectre joue un rôle fondamentale dans la vie quotidienne, les croyances, sa place est majeure dans littérature chinoise du XVIIIe siècle, mais aussi le cinéma, cela dès ses débuts (comme le prouvent Les Comtes de la lune froide après la pluie du Japonais Henji Mizoguchi, 1953), et surtout cette « nouvelle vague du cinéma fantastique émergeant au début de ce millénaire avec, notamment, la série des Ring déjà évoquée .


Je relis d'ancestraux contes chinois : les spectres et leurs consorts ne sont pas toujours des êtres si dangereux, rappelons-les, ils cohabitent ou s'affrontent souvent avec des esprits farceurs comme ces renards dans un conte, ou encore des gobelins, toutes sortes de démons...


Et je tombe sur cette phrase : « La lune éclairait tout comme un plein jour. » (Ji Yun, « Démon soluble dans l'alcool »). C'est bien cette lumière froide de l'astre blanc, si important dans ces contes, qui semblent éclairer les scènes imaginées par l'artiste.


Philippe Calandre est en photographe cinéphile. Rien de surprenant donc à ce que cette série semble si cinématographique ; elle doit peu à la photographie, ancienne ou contemporaine, beaucoup plus à un cinéma ancien ou contemporain, qu'il soit occidental ou asiatique, ancien ou actuel...


L'insomnie : Philippe en a comme moi souffert ; elle fait de nous, littéralement des zombies en puissance. L'insomniaque est ressemble beaucoup à un « mort-vivant ». Je connais aussi l'expérience du « rêve-éveillé », c'est-à-dire que, longtemps, j'ai été « somnanbule ».


Cet Autre qui est votre double nocturne,... S'en séparer, c'est un peu, j'imagine (car je n'ai pas de frère jumeau, mais beaucoup de doubles nocturnes) comme s'éloigner d'un frère ou ou d'une soeur jumeaux : la douleur est déchirante, l'on se sent coupé en deux, séparé de sa moitié (même si c'est la « part sombre » de soi. Ce n'est donc pas un hasard si le photos de Philippe montrent souvent des duos... conjugaux, consanguins ou pas.



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