lundi, mars 15, 2010

Une "sorte de silence à moteur doux" (Retour à Châteaudouble)

Photo Yannick Vigouroux,
"Window # 1364, Châteaudouble, 15 mars 2010"
(Canon PowerShot)




Me voici de retour à Châteaudouble, dans le Var. Une nouvelle semaine consacrée à l'écriture, à la lecture et à la photographie, dans ce cabanon retapé par Bruno.

Bruno avait initialement aménagé un trou (désormais obstrué et orné d'un masque en bois sculpté par mon ami) dans la façade de la pièce principale afin de transformer celle-ci en chambre claire... Je viens de prendre conscience que c'est justement dans cette pièce que je suis en train taper ces mots, alors que mon ami, en bon photographe-paysan - et il faut imaginer en même temps le vrombrissement obstiné de son tracteur - creuse un autre trou, cette fois dans la terre, pour y recueillir l'eau inspensable à la culture de ses pommiers.

Au fil du temps, le cabanon de Châteadouble, où je séjourne une ou deux fois par ans, est devenu, littéralement cela pour moi : une chambre noire ou une camera lucida, une fabrique à sensations. Une fabrique d'images mentales. Un refuge aussi où je suis à l'abri des excès du tout-technologique (j'ai une connection internet, mais dans cette vallée encaissée entre deux montagnes couvertes de chênes verts et de pins, je n'ai plus du tout de réseau, mon téléphone mobile ne sert plus à rien... sinon bien sûr prendre des photos !).

Toutes ces sensations, ces images appaisantes qui surgissent et s'accumulent en moi (sédimentation lente par cette journée brumeuse où tout semble se dérouler au ralenti), le bruit de l'engin et celui que produisent mes doigts sur le clavier, dans un stacatto à la fois fébrile et contenu, font écho à ces paroles de Bernard Plossu :

"Avec le super-huit, ce qui était agréable, c'était le bruit quand ça filmait, une sorte de silence à moteur doux. Quand au bruit du projecteur quand on regarde les films, brr, alors là c'est aussi fort que le bruit des machines à écrire d'autrefois ! Même nostalgie ! D'ailleurs, je me demande si ce n'est pas pas pour le bruit de la machine que j'adorais écrire. J'écrivais tout le temps que j'étais à Big Sur et à Carmel : les longues journées de brume, dans une maison toute en bois..." ("entretien avec Michel Cohen" in Plossu Cinéma, Frac PACA - Galerie La Non-Maison, Yellow Now, 2009, p. 177).

Il y a aussi ces mots tapés par Robert Frank, à la machine à écrire justement, sur un Polaroid montrant le paysage enneigé de Mabou (Canada) que Bruno vient de me faire découvrir.

Brève balade dans le pré où travaille l'ami paysan. Après avoir enmagasiné quelques photos dans son Erabox 6x9, je me dis qu'il est décidément doux de s'abandonner à cette "sorte de silence à moteur doux".