lundi, juin 28, 2010

Acireale : le monstrueux cyclope, Aci et Galatée



Photos Yannick Vigouroux,

« Acireale, triptyque sicilien, juin 2010 » (Digital Fisher-Price)



Nous nous dirigeons vers l'est de l'Ile. Pause sur une petite plage près d'Acireale, où je m'amuse avec mon Fisher-Price numérique. Je lis dans mon guide qu'une histoire belle et triste est à l'origine du nom de la ville :
« Aci, beau berger, fils du dieu Pan, aimait Galatée. Mais celle-ci était aimée par le monstrueux cyclope Polyphème qui, un beau jour, ne fit qu'une bouchée de son rival. Alors Galatée décida de faire revivre son bien-aimé dans les eaux pures d'un fleuve, qui coula pendant longtemps près de la ville actuelle d'Acireale, avant de tarir. De tristesse, Galatée appela le nom d'Aci à travers toute la région et les échos se posèrent sur quelques villes qui portèrent son nom (Aci Castello, Acitrezza, etc.). »

Agrigente et la Vallée des Temples




Photos Yannick Vigouroux
« Le Temple de la Concorde, Agrigente, juin 2010 » (Agfa Clack 6x9)



Me voilà à Agrigente : je ne m'attendais à trouver une ville aussi haut perchée, surplombant ainsi la Méditerranée. Nous sommes accueillis très chaleureusement au B& B. Le propriétaire nous offre un café et discute longuement avec nous. La vue de la chambre est magnifique. Belle rencontre.

Le lendemain matin, visite de la Vallée des Temples.

Je retrouve les sensations éprouvées à à Pompéi et Herculanum : le temps et l'espace me semblent fossilisés dans la pierre, j'éprouve une fois de plus un étrange vertige. Le Temple de la Concorde est remarquablement conservé. Comment photographier un tel monument sans tomber dans l'esthétique « carte postale » ? Il existe bien un moyen de biaiser : comme Martin Parr, photographier les touristes avec une distance ironique. Une image dans l'image ? Mais cela me lasse, et je préfère le parti pris de l' « image-sensation », le contraire de l' « image sensationnelle (Serge Tisseron).

dimanche, juin 27, 2010

En Voiture, de Marsala à Trapani

Photo Yannick Vigouroux (Canon Powershot)


Il est l'heure de déjeuner et nous nous arrêtons dans les faubourgs de Marsala. Maisons très pauvres de pêcheurs, difficile de trouver plus frustres. Des bunkers, vestiges de la Seconde Guerre mondiale, qui ressemblent à des igloos incongrus, des cloques oubliées des blessures de l'histoire du fascisme.



Photo Yannick Vigouroux,
« Marsala, Sicile, juin 2010 » (Agfa Click 1, box 6x6)


Dans un buisson de cactus, Jésus qui n'est rien d'autre qu'un santon géant tourne le dos au minuscule port de pêche et fait face aux HLM gris et sales.
En fin d'après-midi, arrivée à Trapani, cette fascinante péninsule portuaire où mouillent d'immenses bateaux. Je découvre que, héritage de la longue occupation arabe, loin des clichés associés à la Sicile, la grande spécialité culinaire locale est le « cuscus » de poisson. J'en commande bien sûr au restaurant mais le serveur m'informe qu'ils n'en ont plus ; je me console avec un taboulé tout aussi inattendu et un délicieux vin blanc local (j'arrache l'étiquette qui représente une jeune femme à la blonde chevelure solaire).

samedi, juin 26, 2010

En voiture (« Le Désert des Tartares »)


Photo Yannick Vigouroux,
« Vers Trapani, Sicile, juin 2010 » (Agfa Clack, box 6x9)


En Sicile comme ailleurs, les plus belles villes de bords de mer sont flanquées de zones industrielles et de complexes chimiques inavouables... ; on l'oublie parfois, chez soi comme à l'étranger, mais en fait il est ineluctable que ces villes aimées vomissent sous nos yeux leurs si sordides et si photogéniques excroissances de ferraille, de béton (mare un peu, de photographier cela, me dis-je en consuisant ne suis-je pas le témoin muet et complice de choses que je désaprouve ?) ...

Mais le littoral blessé, défiguré comme l'humain brisé, dénaturé par la loi du profit aveugle, résiste..., et soudain, j'en ai la preuve, de cette résitance là, de la mienne, des utopies méprisées, du quotidien de l'homme à l'ouvrage : surnaturelle à mes yeux, cette église sur la grève, qui semble surgir de nulle part, improbable comme un décor fabriqué pour les besoins d'un long-métrage !

En voiture, de Palerme à Trapani (1)



Photos Yannick Vigouroux,
« Vers Trapani, Sicile, juin 2010 » (Agfa Click 1, box 6x9)



Je lis les dernières ligne du livre de Pasolini, qui décrit ainsi la dernière station balnéaire italienne de l'Adriatique, avant la frontière yougoslave : « Sur les pauvres voix, la pauvre petite plage, l'orage jette une ombre légère, blanchâtre. Ici finit l'Italie, ici finit l'été. »

Est-ce que moi, aussi, je me dirige vers la fin de quelque chose ? : l'une des extrémités de l'île (Trapani est une péninsule), de moi-même ? Ce « silencieux effondrement », « en moi », et « en dehors de moi », sur l'une ces plages tant rêvées, idéalisées..

En voiture, nous longeons des grèves irréelles, celle de la route du sel et de ses moulins, et je pense aussi à ce vers de Rimbaud qui m'a toujours donné le vertige : « … ce ne peut être que la fin du monde, en avançant ».

L'automobile dévore le bitume, et je me sens heureux d'avaler ainsi des kilomètres, de vivre cette progression mécanique, machinale – je n'ai pas conduit de voiture depuis deux ou trois ans, normalement je n'aime pas conduire, mais cette fois j'aime cela.

lundi, juin 21, 2010

L'hôtel Albergo (2003-2010)



Palerme, 31 mai 2010. Pendant une promenade, nous tombons par hasard sur l'hôtel Albergo où nous avions séjourné en 2003, désormais fermé, qui ressemble, avec ses fenêtres aveugles, à un immeuble fantôme. J'avais alors photographié, à l'aide d'une box 6 x 9, son enseigne rouillée. Avec un peu de nostalgie, je me souviens des heures heureuses passées dans cet hôtel défraîchi, de la TV, du jeu « Passa parola » qui faisait alors fureur sur la Rai 1, qui nous amusait tant. De la nuit tombant sur la place, des disputes fréquentes entre les travelos qui faisaient le trottoir (alors que notre guide annonçait un « hôtel donnant sur une place calme » !). Le bâtiment me semble habité par les fantômes de nous-même, ces fragiles et précieux souvenirs de notre premier voyage en Sicile. C'est une pensée à la fois douce et mélancolique.


Photos Yannick Vigouroux, « Palerme, 2003 /
Port de Mondello, 2003 », de la série « Littoralités » (Box 6 x 9)


Attention aux spectres du passé, ne pas se laisser gagner par la tristesse. Je sens qu'il est temps de commencer notre périple en voiture autour de l'île. J'éprouve une forte envie de photographier le littoral (en 2003 je n'avais photographié que la station balnéaire de Mondello), envie aiguisée par la lecture du livre de Pasolini :

« Je me promène sur la petite plage déserte, au pied du village. Et dans le silence qu'il y a en moi et en dehors de moi, je sens comme un long, un silencieux effondrement. »

Départ demain matin pour la côte Nord-Ouest. Destination : Trapani.

dimanche, juin 20, 2010

Les Puppi siciliani (Mercato di Ballaró, Palermo)


Photo Yannick Vigouroux,
« Marché de la Vucciria, Palerme, juin 2010 »
(Canon Powershot)





Hotel Cortese, Palerme, 30 mai 2010. Levé tôt, dès 7 h 00, je photographie à nouveau du balcon la mise en place du Mercato di Ballaró. Il est bientôt 9 h 00. D'abord quelques passants, quelques scooters klaxoneurs (pléonasme ici...). Des gestes, des personnes qui attendent, se croisent, se rencontrent, se tapent sur l'épaule et s'embrassent, décrivent avec leurs mains des objectifs bien connus d'eux mais invisibles, incompréhensibles pour moi.

Un bourdonnement humain d'abord insignifiant qui s'amplifie lentement et sûrement autour de la ruche du marché. L'on sifflote, l'on s'interpelle, le bruit s'amplifie, la masse se fait plus compacte... l'on s'en que cela va arriver, et... je n'ai pas entendu le signal mais les Palermitains eux l'ont perçu : comme leurs pères et leurs grand-pères avant eux, les corps inertes ou presque il y a quelques minutes, marchant au ralenti, se sont aussitôt transformés en silhouettes pressées, affairées. Abandonnant caddies de supermarchés et autres chariots bricolés pour transporter les denrées, aimantées par le même objectif, ils tirent sur des cordes, hissant un à un les draps bariolés qui protègeront les étals du soleil. Incroyable fourmillement, précision des gestes. L'artère du marché me fait penser à un immense voilier dont l'on aurait soudain hissé les voiles...

C'est une chorégraphie parfaitement rodée qui commence, la même partition répétée chaque jour des mêmes corps en mouvement. J'observe la démarche lente et assurée, chaloupée et précise des passants. Les plus lents, les plus âgés aussi, croisent souvent les mains derrière le dos, inspectent en hommes expérimentés, avisés, le déroulement des opérations (la rondeur et la pesanteur de leurs corps semble le gage de leur autorité), et tout me semble parfaitement rodé... Les pieds, vus en plongée, semblent parfois énormes.

Je multiplie les photos.

Plus tard, dans la journée surgiront les touristes, en particulier entre 14 h 00 et 17 h 00, l'heure sacrée de la sieste où les Palermitains désertent eux la rue, puis, en fin d'après-midi, après l'école, les enfants de Palerme, qui jouent... à s'entretuer avec des fusils et des billes en plastique.

samedi, juin 19, 2010

Des avantages et des inconvénients des petits et grands hôtels (arrivée à Palerme)

Photo Yannick Vigouroux,
« Autoportrait, Hôtel Milano, Syracuse, 5 juin 2010 »
(Canon Powershot)


28 mai 2010, 23 h 00 Hotel Corte, Palermo. Après un long voyage en bus – proche de la station balnéaire de Mondello, l'aéroport de Palerme est très excentré par rapport à la ville – arrivée à notre hôtel qui donne sur une rue bruyante, au coeur du Mercato di Ballaró. Quartier populaire et branché. Les Noirs, les Pakistanais et les étudiants écoutent de la musique techno à fond, en sirotant de la Moretti. Grâce à eux, je retrouverai le lendemain matin, à ma grande surprise, le goût de la photo de rue, qu'il est devenu quasiment impossible de pratiquer à Paris, tant les passants et les forces de l'ordre sont devenus paranoïaques !

Je découvre notre petit balcon, qui ouvre sur une architecture totalement effondrée, où je passerai beaucoup de temps à photographier les minuscules passants du marché qui, écrasés par la plongée, fixés à leurs ombres portées si découpées, me feront penser aux basculos de mon enfance. Je les nommerai « pupi siciliani », sans mépris aucun, mais comme clin d'oeil à cette fascinante tradition sicilienne des marionnettes recouvertes d'armures qui, mêlées à l'art des conteurs, dès le Moyen-Age, narraient les exploits des chevaliers. J'en ai acquis une de petite taille qui est désormais suspendu à ma bibliothèque.

J'aime tant ces hôtels économiques, ces lieux transitoires simples mais confortables où il est si bon de s'abstraire de sa vie... et de se retrouver. Surtout à l'étranger.

Une parenthèse régénérante, toujours, pour moi. Il m'est si agréable de m'abstraire de ma vie... et d'ainsi me retrouver.

Un seul hic à Palerme. Je découvre que les douches et les toilettes sont collectives, ce qui curieusement me gène plus que d'habitude.

Coïncidence amusante, je découvre en relisant Dino Buzzati que cette question l'obsédait. Dans le recueil que m'a prêté Anne-Marie (Nous sommes au regret de... / Siamo spiacenti di, 1975) pas moins de trois textes sont consacrés à cette question !

Dans « Le couloir du grand hôtel » la gêne que j'évoque a des implications aussi démesurées qu'absurdes... A contrario, l'écrivain décrit ailleurs « La maison idéale » : les pièces minuscules sont peu décorées et miniscules, à l'exception des WC qui mesurent au moins 40 mètres carrés, et où règne un « luxe efferéné ». « Il est facile de supporter la misère lorsque l'on peut chier en grand seigneur » conclut Buzatti qui semble n'avoir pas toujours bien vécu la fréquentation des hôtels.

jeudi, juin 17, 2010

Le tour de la Sicile en voiture ou « La longue route de sable »

Photo Yannick Vigouroux,
« Vers Marsala, 6 juin 2010 » (Digital Fisher-Price)


Paris, 28 mai 2010. Départ dans quelques heures d'Orly pour la Sicile. Comme nous avons prévu avec Anne-marie de faire le tour de la Sicile en voiture, j'ai acheté le récit de Pasolini, La lunga strada di sabbia (La longue Route de sable), dont j'aime le titre et le projet (dont je ne connaissais pas jusqu'à ce jour l'existence) : faire le tour de l'Italie en voiture.
Qu'a écrit Pasolini sur ces plages, lui qui trouva, justement, tragiquement la mort sur l'une d'entre elles ?



Photo Yannick Vigouroux, « Palerme, 29 mai 2010 » (Canon Powershot)

Si notre périmètre géographique est plus modeste, il existe une indiscutable proximité d'intention entre les deux projets. Alors que je prendrai des notes et photographierai la côte sicilienne, je lirai ce livre, au début du voyage en tout cas (car le livre est mince).
P. 26 : Avant de poser à nouveau le pied sur l'île (mon dernier voyage remonte à 2003), je lis dans l'avion : « C'est l'Argentario. Purs coups de pinceau, taches de lumière, qui ont la forme de terre et de mer, et une paix de sommeil vivant. »
« une paix de sommeil vivant. », cela résonne en moi de manière encore diffuse, je ne saisis pas encore pleinement la signification et les conséquences de ces mots, mais, et je ne saurais à ce moment là dire exactement pourquoi, il me semble bien que c'est cela que je suis venu chercher en Italie.
Un blog que je viens de découvrir, consacré à ce qu'est devenue la "longue route de sable" :
http://lalongueroutedesable.blogspot.com/