jeudi, juillet 22, 2010

En Normandie, Littoralement




Photos Yannick Vigouroux
« Luc-sur-Mer, Normandie, 22 juillet 2010 » (Canon Powershot)



Luc-sur-Mer, 22 juillet 2010, vers 10 h du matin, il fait beau et face à l'estacade, Place des Menteux, les « Taiseux » ragaillardis par les premiers rayons de soleil deviennent loquaces, parlent de casiers remplis de homards et de pêches exceptionnelles réalisées dans le Nord de la France...

Place du Petit-Enfer, un photographe de plage attend ses premiers clients tandis que les peintres amateurs posent leurs tableaux devant leurs cabanes de plage. Les peintures sont réalisées sur place, mais la plage de Luc-sur-Mer est souvent étrangement absente des productions ; l'imagination de l'un des artistes est semble-t-il ailleurs puisque la Forêt de Fontainebleau côtoie la cathédrale de Chartres, les bords de Seine, la Pointe du Raz et les Falaises d'Etretat...

Dans une boutique de souvenirs, un vrai capharnaüm où matériel de pêche, jouets de plage et objets en résine made in China s'entassent avec des productions plus locales comme ces coquillages peints, j'achète l'un d'entre eux, ainsi qu' une carte postale vintage des années 1950 aux bords dentelés : sur la grève, au même emplacement que l'actuelle place des Menteux, la barque « Pourquoi : Pas » cohabite tranquillement avec la « Jacques Eliane », le « Nolys » et le « St-Georges ».

Soixante ans plus tard, la vie tranquille et immuable (même le débarquement du 6 juin 1944 l'a épargnée, au désespoir des élus municipaux, les Alliés dans l'empressement à faire la guerre et progresser dans les terres l'ayant oubliée...) : la vie de la tranquille station balnéaire se met en place, au ralenti, littoralement.

mercredi, juillet 21, 2010

De Stromboli à Paris, ou la fausse fin d'une boucle...


Aller à Stromboli était avant tout un rêve de cinéphile. Depuis la redécouverte récente du film éponyme de Rossellini (dont le titre complet et original est : Stromboli, terra di Dio, 1949 http://www.imdb.com/title/tt0041931/) il y a quelques mois, je caressais le projet de m'y rendre en bateau, et d'y séjourner plusieurs jours. J'éprouvais toutefois une appréhension : la réalité sera-t-elle à la hauteur de celle que j'avais tant fantasmée ?

D'une de mes images faite sur le ferry-boat, l'on m'a écrit qu'elle était « saturée de fiction ». C'est sans doute vrai, et en particulier de néo-réalisme... Même la photo de la jeune femme inconnue (Cf. « Mon histoire de Marie »), avec sa coupe de cheveux très années 1940, achetée sur le marché de Syracuse, évoquerait, selon une autre personne, Ingrid Bergman.

Stromboli, c'était presque un pèlerinage pour moi. Après avoir photographié religieusement à travers le hublot l'étrange champignon de pierre, j'ai débarqué sur l'île avec la même fébrilité que si je débarquais littéralement sur le tournage du film, soixante ans auparavant.

Je songe aujourd'hui, entre autres, aux plages courbes et étroites de sable noir qui ceinturent le volcan. Je songe aussi à cette balade de nuit en bateau avec Francesco (alias « Franky International », propriétaire du B & B), et l'impatience de ce dernier face aux caprices du Stromboli qui se fit désirer de longues minutes avant de cracher ses étincelles et sa lave telluriques, tandis qu'un immense yacht privé surgissait devant notre dérisoire coque de noix (scène « surréaliste » : l'orchestre au deuxième étage jouait du rock et nous tournait le dos, quelques rares personnes glissent sur la piste de danse). Décidément, tout allait me surprendre et me captiver pendant ces deux jours.

Alors que j'écris sur le MacIntosh de mon frère Marc qui réside en ce moment au Ghana, et lis depuis ce matin Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad (1899), je pense à toutes ces géographies imaginaires entremêlées, tous ces horizons qui se bousculent : l'Afrique noire que je ne connais pas, tout comme l'Asie où plusieurs amis sont en train de passer l'été, alors que je ne cesse de penser en même temps à l'Italie, la Sicile et la baie de Naples en particulier, et bien sûr la côte normande où je me ressource. Face à l'écran, j'entend la mer et son long bruissement, cliquetis lourd et transparent, comme le battement d'un immense coeur maritime. Tous ces paysages réels et imaginaires (mais n'est-ce pas une seule et même chose ?) se superposent pour ne former qu'une seule masse tremblée, une seule même vague ourlée de tant de nuances complexes et contrastées (à l'image de La Vague de Courbet, peinte en 1869), dans laquelle je me sens irrésistiblement entraîné...

Je prends conscience que c'est justement sur cette côte de Nacre que j'ai réalisé, après celles d'Espagne, mes premières « littoralités », il y a presque quinze ans. Les textes de ce « journal de voyage » n'en sont-ils pas, finalement, l'équivalent linguistiques ? Il y a quelques jours, je notais en effet : « écrire sans penser à l'écriture. Avec les mots, atteindre à la même fluidité, la même aisance et simplicité qu'avec le langage photographique depuis une dizaine d'années, sans réfléchir à la FORME, qui s'asphyxie, et avec elle le contenu, quand elle est (trop) consciente d'elle-même. »

De Stromboli à la Côte de Nacre, d'un rivage à l'autre, des plages de sable noir de l'île volcanique aux plages de sable clair de ma Normandie natale, de la Méditerranée à la Manche, se dérouleraient alors les méandres d'un voyage comparables à ceux du fleuve Niger que je viens de découvrir sur une carte : celui-ci dessine en effet une longue boucle et semble revenir à sa source, pour finalement se jeter plus loin. Tout ce joue peut-être dans ce faux retour à l'origine et ce décalage. Une fin ouverte qui serait le début de quelque chose, comme ce retour si difficile à Paris qui n'aura pas été, à la réflexion, un vrai retour, tant on emporte et laisse de soi-même dans un tel voyage.


Luc-sur-Mer, 20 juillet 2010

mardi, juillet 20, 2010

Les fenêtres intérieures (Milazzo)


Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 1953, Hôtel California, Milazzo, juin 2010 »
(Canon Powershot)


La procession religieuse de Milazzo m'avait donc inspiré un vague sentiment d'inquiétude que j'analyserai plus tard comme proche de celui que ressent Ingrid Bergman au volant de sa voiture dans les rues de Naples, dans Le Voyage en Italie (1954), lorsqu'elle doit s'arrêter pour laisser passer un convoi funéraire.

La lumière diffuse, étouffée, entre chien et loup, l'atmosphère émouvante mais aussi pesante de ferveur populaire, l'odeur entêtante d'encens répandue de manière mécanique, la marche obstinée de cette colonne humaine qui ressemblait tant à celle d'une armée de spectres, tout cela contribuait à mon malaise. Mais Milazzo n'était après tout qu'un point d'encrage flottant, très provisoire, avant le départ vers le volcan mythique de Stromboli...

Je décidais d'aller me reposer dans ma chambre d'hôtel. Et c'est là, qu'allongé sur le lit, écoutant avec mon MP 3 la voix grave, éraillée, grésillante de Caruso, l'esprit flottant et le corps relâché, j'ai vécu à nouveau cette expérience de l'image photographique première : après que j'ai refermé en partie les volets, une image désignée par un rectangle lumineux s'imposa sur le mur, autour du miroir aveugle. Les bruits de la ville et de la procession n'étaient plus qu'une rumeur lointaine. Tout sentiment d'angoisse me sembla désamorcé.

lundi, juillet 12, 2010

L'Hôtel California, Milazzo



Photos Yannick Vigouroux,
« Hôtel California, Milazzo, juin 2010 »
(Canon Powershot)


Sur le marché de Syracuse, j'ai acheté le portrait de cette jeune femme. Le tirage est très abîmé, marbré de nombreuses cassures. Il semble que, pour une raison que j'ignore, on lui ait accordé malgré tout une grande valeur puisqu'il a été remonté dans un cadre récent, économique. C'est cela qui est particulièrement émouvant : le caractère cheap et banal de ce cadre contrastant avec ce portrait jauni et abîmé, monté d'urgence dans un écrin sans âme, trop lisse. Et puis le voilà, ce portrait auquel on tenait visiblement tant, abandonné sur cette brocante, désormais anonyme, devenu simple rebus, ne coûtant que deux euros... Je me demandais quelle avait été la vie de cette femme, qui l'avait tant aimé ?

Lorsque je rencontrai quelques jours plus tard la dame âgée qui tenait l'hôtel de Milazzo (l'hôtel California, un nom qu'on n'oublie pas) où je résidais, je m'imaginais qu'il aurait pu s'agir de la même personne. J'appris plus tard, au moment du départ, qu'elle avait travaillé après la Guerre neuf avec son mari en Allemagne (d'où l'inscription sur la façade de l'hôtel : « Man sprecht Deutsch »), qu'elle s'était enfui avec lui pour échapper au travail dans les champs, et... par amour bien sûr. De chaque lieu religieux où elle s'était rendue elle avait ramené une statuette, dont l'incontournable Padre Pio vénéré à Naples et en Sicile, trônant dans l'entrée. Les icônes religieuses sont omniprésentes ici, à l'intérieur des maisons, mais aussi sur les halls d'entrée, dans des niches minuscules aménagées à chaque coin de rue. Les manifestations religieuses aussi – le jour de l'arrivée dans la ville, j'assistais ainsi à une longue procession qui me mit vaguement mal à l'aise : tout le monde était de sortie, jeunes et vieux, valides et handicapés, civils et militaires, religieux, dans un climat de ferveur et une odeur entêtante d'encens. La vieille dame nous confia que quelques jours plus tôt, des inconnus lui avait rendu visite et lui avait dit qu'il n'était pas possible d'entrer chez elle, car sa maison « était habitée par le Diable ». Profitant de son trouble, il lui avait dérobé des statuettes. Avec un joli sourire résigné que je n'oublierai jamais, elle conclut sur un dicton qui me sembla aussi juste et fataliste, mais qu'étant donné mon très bas niveau d'italien, je ne saurais hélas retranscrire...

dimanche, juillet 11, 2010

Les chiens de Sicile


Photos Yannick Vigouroux,
« Naples-Palerme, 2003 » (Holga)


Ils ne montent pas la garde, loin s'en faut, mais dorment, le plus souvent, dans les rues des villes siciliennes. Leurs déplacements sont rares et mesurés. Deux par deux, parfois trois, ils sont souvent âgés, plutôt grands et bien nourris, pas efflanqués du tout, contrairement à ceux que j'ai l'habitude de croiser ailleurs en Méditerranée. J'aime photographier leur toison laineuse, leur abandon animal total du à la chaleur qui a quelque chose de rassurant.




Photo Yannick Vigouroux, « Agrigente, juin 2010 » (Canon Powershot)


Ils sont l'exact contraire du molosse menaçant qui inquiétait tant Peter Handke dans La Leçon de la Sainte-Victoire (1991) ou m'effrayait tant lorsque j'étais enfant à la campagne, en Normandie. Ils m'invitent à une autre lecture du chien errant que photographia Daido Moriyama (« Stray Dog, Misawa, 1971 ») : je le croyais jusqu'à présent l'incarnation d'une menace sourde, primaire, sauvage. Contresens ?...



Contresens ou non, relecture subjective de ma part ?, selon moi : c'est un chien générique désormais, que l'on pourrait caresser sans appréhension, et c'est, au lieu de vous mordre, une énergie postive qu'il pourrait transmettre dans vos mains (et réciproquement) si vous le caressiez, comme je l'ai parfaitement ressenti, pour la première fois de ma vie, dans une ruelle d'Agrigente...

samedi, juillet 03, 2010

Syracuse et Orthygie


Photos Yannick Vigouroux,
« Hôtel Milano, Syracuse, 5 juin 2010 »
(Canon Powershot)



Le balcon de l'Hôtel Milano de Syracuse me plait beaucoup, ce poste d'observation est l'occasion pour moi de poursuivre immédiatement la série des « Pupi » commencée à Palerme. Comme le promettait le guide, il y a bien un réfrigérateur dans la chambre, et une télévision... posée sur celui-ci ! Photo.



Photos Yannick Vigouroux,
« De l'hôtel Milano, Syracuse, 5 juin 2010 »
(Canon Powershot)

Promenade sur le marché d'Orthygie : débauche de couleurs, d'agrumes, de coquillages et de poissons, dont ces immenses thons et espadons que les hommes découpent à la machette... Odeur d'aubergines grillées, j'en achête.

Le soir, après avoir mitraillé les passants avec mon Canon, j'assiste du balcon à une étrange et bruyante exhibition de voitures de sport qui vrombrissent dans notre rue et semblent fasciner les Italiens. Les gens sont venus très nombreux, en famille, assister au spectacle. La TV est allumée et la Raï Uno vrombrit aussi derrière moi, elle diffuse un étrange télé-crochet d'enfants chateurs jugés par des prêtres et des soeurs : le catholicisme est décidément omniprésent ici. Malgré mon goût pour toutes les formes de cultures populaires (y compris les pires), j'avoue préférer les délicates marquetteries de pierre qui recouvrent l'intérieur des églises baroques...




Photo Yannick Vigouroux,
« La jetée d'Orthygie, 6 juin 2010 »
(Canon Powershot)



Le lendemain matin, je photographie cette homme sur la jetée entièrement recouverte de graffiti du port d'Orthygie. Très beau ce monsieur à l'élégance un peu suranné. D'ailleurs je trouve les gens dignes et beaux ici : pauvre ou riche, la tenue de rigueur ici (surtout pour rentrer dans les églises) est la chemise et le pantalon, éventuellement l'été une chemisette ou un tee-shirt. Pudeur vestimentaire citadine qui contraste avec les bermudas et tongues des hordes de touristes allemands et anglo-saxons au teint rougeoyant. Je m'habille comme un Sicilien. Je ne veux pas ressembler à un touriste. Je suis un étranger oui, et cela se voit, mais un étranger qui voyage, et qui, s'il ne balbultie que quelques mots d'Italiens mélangés à du français et de l'anglais (ce qu'Anne-marie surnomme mon « Desesperanto » !), cherche comme d'habitude à se fondre le plus possible dans le décor. C'est vrai que c'est aussi un réflexe de photographe.