© Photos Christine Bergougnous, « Renards à Marseille, 2010 »
Injustement dénigré, considéré considéré comme un animal sournois et nuisible, le renard est pourtant la vedette de bien des fables et des contes. A rebours de ces préjugés, Christine Bergougnous promène ses renards dans le monde entier...
« Il y a toujours un début d’histoire.
La mienne a commencé il y a longtemps, elle me fut contée par Antoine de SAINT-EXUPERY. Il venait me parler dans des rêves dont je garde un souvenir joyeux. Pourtant, je n’avais aucune raison d’être joyeuse : mon institutrice me giflait parce que j’écrivais de la main gauche, mon père, mort trop tôt pour m’apprendre à marcher, n’était pas là pour me protéger de la méchanceté du monde. Ma famille avait tout perdu en Algérie et je grandissais sans télévision, sans téléphone, habillée par la Croix-Rouge et élevée dans l’austérité du monde des huguenots. Je n’avais rien, mais j’avais tout à la fois, puisque je pouvais rêver. Un livre et un seul me fit le cadeau du rêve.
C’était l’histoire d’un petit prince perdu dans un désert. Un jour il rencontra un renard. Si vous voulez en savoir plus, lisez le livre et lisez le à vos enfants.
“ C’est alors qu’apparut le renard :
Bonjour, dit le renard.
Bonjour, dit poliment le petit prince, qui se retourna mais qui ne vit rien.
Je suis là, dit la voix, sous le pommier.
Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli
Je suis le renard, dit le renard.
Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste… ”
© Photos Christine Bergougnous, « Calandrier de renard »
Ce sont les histoires qui fabriquent les vies. Et ce sont nos vies qui fabriquent les histoires. Les unes ne vont pas sans les autres.
Là où je vivais, au bord de la mer, il n’y avait pas de renard, mais comme l’ombre suit la matière, le bonheur suit le malheur. Lorsque ma mère se remaria et nous emmena en Ariège, je découvris la vie sauvage. J’avais onze ans. Lors de mes échappées dans la nature, je rencontrai le regard brillant de cet animal dont j’ignorai pourtant longtemps la symbolique.
Dans la nature, je retrouvai mon âme sauvage. Mais quelques années plus tard, je vendis mon âme en me jetant dans les conventions et la violence de la société « normale » pour réaliser ensuite que je perdais tout : ma liberté et ma joie de vivre.
Et puis, un jour, après tant d’années d’emprisonnement dans des bureaux, je suis revenue à la nature. Il ne s’agissait pas d’un caprice, mais d’une priorité. Souvent, la maladie nous invoque. Ce fut mon cas. Après quelques passages dans des hôpitaux, je retrouvai l’usage de mes jambes et errai dans les bois, appelée par le silence et la grâce de la nature. J’y trouvai ce que je cherchai. Toute la générosité de la Terre.
J’ai longtemps cru que la nature était romantique. Elle ne l’est pas. Cela commença par les coups de fusil des chasseurs. Cela se termina par une attaque directe sur ma vie : des piqûres de tique. A sept reprises, la maladie de Lyme. Une maladie invalidante dont on ne fait pas cas en France, car elle attaque tous les organes du corps, et vous laisse sur le carreau.
Un jour, je compris que je devais laisser la nature en paix. Ne plus troubler l’équilibre fragile des choses. Ce jour là, je rencontrai le renard Arthur dans une brocante de mon village. Il me fixait du regard, et depuis ce jour j’ai compris bien des choses.
J’ai compris que ce renard, symbole de la liberté, de l’adaptation, de la ruse, de la vengeance, de la sagesse, signifiait à lui tout seul ce que nos sociétés sont depuis des siècles en mesure de contrôler, de réprimer, de faire pourrir, et d’exterminer : notre âme, notre essence même.
Je me suis demandée longtemps pourquoi ce besoin détruire, et de conserver après la destruction : en ce qui concerne le renard, la taxidermie. Je me suis demandée ce qui pouvait animer l’être humain. Pourquoi ce besoin de tout maîtriser, de tout déséquilibrer, de tout classifier. Je n’ai pas encore tout appris de nos comportements, de nos paradoxes et de notre complexité, mais j’ai gardé une part de rêve et la conscience que sans l’animal, l’être humain ne serait rien, absolument rien.
Je voudrais remercier ESOPE, ARISTOTE, Jean Jacques ROUSSEAU, HEIDEGGER, SPINOZA, le roman de Renart, Jean DE LA FONTAINE, John CLARE, William BLAKE, Herman HESSE, Robert HAINARD, Nicolas BOUVIER, John BERGER, Guo XUEBO, Pu SONGLING, Alain REMILA, Maurice DUPERAT, les carnets de la huppe des Editions GLENAT, et tant d’autres, pour les sources intarissables dans lesquelles je n’ai cesse de boire l’eau de la connaissance du renard et toutes les personnes qui me soutiennent dans un projet sans fin et passionnant qu’est à lui seul le renard, ainsi que l’UPP qui accueille cette série de photographies. Je voudrais remercier le renard, parce qu’il est à lui tout seul vecteur de sociabilité.
Le renard, libre, solitaire et sociable, comme le photographe. Une histoire d’amour.
Enfin, je voudrais remercier tous les enfants, adolescents, adultes que j’ai rencontrées en France, en Chine, en Afrique, en Angleterre, au Portugal, au Canada et qui m’ont demandé : “que faites-vous avec ce renard dans votre sac à dos ? ” et qui ont participé à une grande aventure photographique que j’espère pouvoir un jour partager avec le monde. »
(Christine Bergougnous)
« Instants de Renard », exposition à l'UPP, la Maison des Photographes, du 1er au 30 mars 2011. Entrée libre du lundi au vendredi, de 10h à 13h & et de 14h à 18h.
Galerie de la Maison des Photographes : 121 rue Vieille du Temple, 75003 Paris.