lundi, mars 31, 2008

Le rituel quotidien des autoportraits crépusculaires et nocturnes

Photo Yannick Vigouroux,
« Self-portrait # 3, 20 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i 733)


Cette période transitoire est si difficile ! Faire le deuil d'une partie de soi-même, de sa vie. Les difficultés de tout ordre ne sont-elles pas l'occasion de métamorphoses ? A l'image, j'en suis conscient, des autoportraits numériques flous que je multiplie depuis que je possède (février 2008) ce petit appareil Polaroïd.

C'est devenu un rituel introspectif crépusculaire et nocturne indispensable. Il me procure l'impression de me libérer de mon corps et, en même temps, d'entrer à nouveau dedans, de me le réapproprier. Le jeu de l' « apparition-disparition » (ou l'inverse, cela dépend des prises de vue).

J'essaie de construire, après avoir rituellement désagrégé le premier, un nouveau corps, et une nouvelle manière de penser. Puis que rien n'est figé, n'est-ce pas ?

La photographie perdue des chambres fermées de l'âme

Vendredi 21 mars 2008. En introduisant la carte mémoire de mon appareil numérique dans la caméra que vient de gagner ma mère (un objet pour moi fort séduisant puisque très cheap : tout en plastique, résolution très faible etc.), et en manipulant les fonctionnalités sommaires de cette dernière, je constate, une fois la carte réintroduite dans mon appareil, que la totalité des images prises quelques heures auparavant dans le train Paris-Caen ont disparu de l'écran LCD...

Ne subsiste, telle une une implacable sanction de cette technologie que j'aime tant malmener : « NO IMAGE » ! (bien fait pour moi ?)

Je m'en veux. Je peste contre moi-même, ma maladresse. Je ne suis peut-être pas au bord des larmes, n'exagérons pas, mais quand même, je sens mes nerfs se vriller, je suis profondément frustré, vidé, fatigué.

Je sais que je venais de réussir une image comme on a rarement le sentiment d'en réussir, et qui correspondait parfaitement à ce que je lisais dans ce train-même. Parfois, sous vos yeux, une image se forme et semble se superposer parfaitement aux mots, ou partiellement, ce qui peut générer des décalages fructueux et passionnants :

« [...] le voyage en train était comme un lit où courait le fleuve de l'imagination, emporté en un mouvement qui vous envoyait des images arrachées aux chambres fermées de l'âme. »

(Pascal Mercier, Train de nuit pour Lisbonne, 2004)


L'image prise ce jour-là ressemblait à du « Edward Hopper diurne en mouvement » : une jeune femme assoupie au bord d'une fenêtre dans le compartiment du wagon, le paysage lumineux défilant sur sa gauche.

L'un des croquis griffonné à la hâte après mon arrivée à Caen ressemble à cela :


Dessin Yannick Vigouroux,
« La photographie perdue dans le train Paris-Caen, 21 mars 2008 »


Les jours ont passé et j'ai fait mon deuil d'une des meilleurs images sans doutes prises ces dernières années et je me suis dit que cette perte, cette absence même, pourrait bien devenir la matrice d'un récit ! Une image, après tout n'était qu'une image. Il me restait d'autres ressources créatives : le dessin, même maladroit, brouillon, et surtout l'écriture.

Il ne s'agirait plus seulement d'élaborer un récit issu de la rencontre de Mr. Et Mrs. Bennett dans un train évoqué par Virginia Woolf, ou de la rencontre, évoquée par Peter Handke, de l' « homme aux bras croisés » peint par Cézanne : dans le premier cas, il n'y avait eu aucune image physique de peinte ou de prise, mais la prégnance d'une image mentale ouvrant vers une fiction, dans le second cas l'image physique avait été réalisée par quelqu'un d'autre.

Mon image avait été photographique, réalisée par moi-même (c'étaient des différences, me semble-t-il, importantes), et il subsistait aussi des images mentales, j'entends par là différents moments, de la rencontre avec la jeune femme. Je l'avais notamment aidée à monter sa lourde valise sur les étagères puis à la descendre en gare de Caen, d'où l'échange de quelques mots, de regards et de timides sourires complices pendant le trajet. De cette brève rencontre devrait donc naître le récit autant que du sentiment de perte de l'image photographique.


La photographie retrouvée des chambres ouvertes de l'âme


Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 829, Train Caen-Paris, 21 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i 733)


Le récit... Que montrait cette image ? Deux rais de lumière zébraient comme une caresse le visage de la jeune femme plongée dans un demi-sommeil et assise de profil face à moi, tenant fermement dans ses mains les notes inscrites sur des feuilles blanches (elle composait visiblement de la musique), à ses pieds il y avait l'étui de son violoncelle – je savais qu'il s'agissait de cet instrument car elle avait évoquait celui-ci à l'une des personnes qui voyageait avec nous.

J'aimais tout particulièrement 'atmosphère de lâcher-prise qui régnait alors, après deux heures de voyage, dans ce compartiment confiné et plongé dans la pénombre, mais percé d'une fenêtre (comme une camera obscura en mouvement ; les trains ne sont pas seulement des moyens de transports, leurs vitres en font aussi des appareils de vision), de bien-être et d'abandon quasi animal dans lequel l'on se laisse glisser parfois à l'approche du sommeil, qu'il s'agisse d'une sieste d'été ou d'un tardif endormissement nocturne et hivernal, par exemple.


De retour à Paris une semaine plus tard, à peine mes bagages posés, impatient de vérifier si la technologie avait été indulgente avec moi et avait, malgré tout, conservé, au fond de sa mémoire numérique que j'ai tendance à comparer à un « inconscient technologique », je téléchargeais avec hâte les images prises en Normandie dans mon ordinateur. Et quel ne fut pas mon soulagement et ma joie de voir surgir l'image que je croyais à jamais perdue! Dont l'apparition et surtout la disparition, aura généré, on l'aura constaté... un récit. Et un récit déjà long.

mercredi, mars 19, 2008

« Les Hirondelles andalouses » de Bernard Plossu


La publication chez Filigrannes d'une série de l'un de mes meilleurs amis et de l'un de mes photographes français préférés...


http://filigranes.revue.com/

mardi, mars 18, 2008

« Tra i finestre (A travers les fenêtres) » de Jean-André-Bertozzi

Photo Jean-André Bertozzi, « New-York, 2008 »,
de la série « Tra i finestre (A travers les fenêtres) »
(captures numériques d'écrans)


Quelques e-mails échangés récemment avec Jean-André Bertozzi :

« Jean-André Bertozzi : Une petite image début d'une nouvelle série…pour avis.
Yannick Vigouroux : Évidemment, j'aime ! Il y a un air de famille indéniable avec certaines de mes images (la série « Windows » en particulier) ? ...

Cela a été pris comment, avec quel appareil, où, et quel sera le titre de la série ?...

J-A B : Évidemment il y a un rapport avec tes images… La série devrait porter le titre de "tra i finesrte" = "A travers les fenêtres" en français. Il s'agit de paysages saisis lors de vidéo-discussions sur skype, en gros ce ne sont que des photos d'écran. Je crois qu'il devrait y avoir pas mal de portraits aussi. Je part en ce moment a la pêche au hasard sur skype. Cette première image a été faite a New-York chez ma grande. Une autre façon de voir le monde en somme. Un peut comme Sudek qui ne photographiait que par la fenêtre de son atelier pendant la guerre…

PS : Peux tu expliquer sur ton site que je suis à la recherche de gens possédant une webcam mobile et acceptant de me faire visiter par camera interposé leur cadre de vie ?. Je leur demande juste à un moment donné de s'immobiliser pendant leur visite pour que je fasse ma photo. Cela rejoint en plus la notion de dépossession de la photographie… mais cela, c'est une autre histoire. Le protocole de rencontre que je propose est le suivant : je te donne mon adresse skype, ou plutôt mon pseudo : "jablemage" à mettre sur ton site, et pour me contacter le code est : "finestra" suivi du lieu de résidence. Aucune obligation de voir la personne. A suivre… »


http://www.kcollectif.com/


lundi, mars 17, 2008

Fenêtres médusées et somnambules (à propos de mes dernières photos de la série « Windows »)

Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 774, Paris, 9 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


La fenêtre médusée des angoisses crépusculaires


Une constatation qui n'est pas nouvelle, mais que je fais sans cesse en ce moment, plus qu'à l'habitude, lorsque je réalise des autoportraits flous jusqu'à m'en tordre le cou, dans une sorte de refus viscéral de ma condition physique, et de l'inéluctable dégradation qui lui est liée (surtout en ce moment) ; ou lorsque, le jour déclinant, à cette heure bleutée et crépusculaire tantôt rassurante, tantôt propice au contraire aux angoisses en tout genre, je photographie chez moi des fenêtres tout aussi floues, comme cette « fenêtre médusée » : le caractère fragile et éphémère de toute chose, serait-elle ma seule certitude (non-certitude ?) en ce bas-monde ?

Cela ma semblé flagrant lorsque j'ai découvert, sur l'écran LCD de mon appareil numérique, ce rideau froissé en forme de méduse suspendue, aussi séduisante que vénéneuse. Si elle semble prête à l'envol et s'apparente à une promesse de légèreté, d'apesanteur, elle s'impose aussi de plus en plus à moi comme une sourde menace, même si elle n'est que visuelle.


Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 775, Paris, 9 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


Somnambulisme & photographie


Enfant, j'ai été longtemps somnambule. Tel un zombie, je me déplaçais sans le savoir dans les couloirs et les pièces de la maison où nous vivions avec mes parents et ma petite soeur Gwenaëlle à la campagne, en Normandie.

Une nuit, je me suis réveillé de mon état second, et j'ai pour la première fois constaté l'existence de mon « double » : mon père m'avait pas giflé (lui qui ne ne m'avait jamais battu), mais m'avait giflé quand même. Sans doute seulement dans le but de me réveiller. Cela ne m'a pas du tout traumatisé, mais marqué quand même.

Car, et je ne saurais le reprocher à mon père, je me suis enfin vu tel que j'étais dans cet état de dédoublement J'étais là, flottant dans mon pyjama, ahuri et surpris par cette odeur nauséabonde, celle du vomi dans la salle de bains.

Je me sentais tellement minable et médiocre, dépossédé, si dénudé, « nul », mal-odorant, humilié par moi-même, minuscule face à l'autorité paternelle. Pas bien fier de moi.

Une fois de plus j'étais sorti de mon lit, et aimanté, manipulé par mon inconscient et mes angoisses, je m'étais « promené » sans le savoir, tel un mort-vivant, dans la maison.

En ce moment mes rêves ou plutôt mes cauchemars sont de plus en plus troubles et agités, et se confondent de plus en plus avec une « réalité » brutale et cruelle.

Longtemps j'ai rêvé, je m'en souviens, avant une crise de somnambulisme et ... le vomissement qui souvent l'accompagnait, que j'étais broyé dans une sorte de machine infernale, où s'engouffraient des têtes de mort dédoublées, emportées dans des anneaux successifs, m'entrainant avec elles vers quelque chose de... disons un déchet recyclé, voué à l'oubli. Avant de m'endormir, j'ai longtemps redouté cette sombre machine onirique à broyer.

Pour revenir à des considérations plus photographiques (mes confessions autobiographiques non-photographiques ne sont ici que des apartés négligeables, même si, je le sais, on ne peut dissocier totalement l'humain du créateur, et c'est la raison pour laquelle je me « livre » parfois, sporadiquement) – j'avoue n'être pas aussi fan que d'autres photographes français de l'oeuvre de l'Américain Ralph Gibson.

Chez Gibson, selon moi, il y a des choses très bien selon moi,d'autres moins, plus « racoleuses », « faciles »...

Mais je dois avouer que la série et le livre Le Somnambule (1968) m'a influencé durablement comme en atteste mon image intitulée « Window # 7 ». En particulier son image la plus connue, en noir et blanc, qui montre l'ombre projetée et squelettique d'une main sur une porte entrouverte qu'elle semble pousser.

La main a disparu de mon image, mais l'on s'attend à ce quelqu'un pousse la porte et surgisse ; ou, à l'inverse, cette image peut être perçue comme une invitation à ouvrir la porte et franchir le seuil d'un au-delà. La dimension de l'imaginaire, tout simplement, selon moi.

La jeune blonde naïve aux bottes noires (du roman « Point Mort » aux nouvelles de « Vers le Grand Nul Part »)

Dessin et photo Yannick Vigouroux,
« La jeune blonde naïve aux bottes noires »
(encre bleue & Polaroïd i733)


« En voici une, une jeune blonde naïve. Elle s'approche du bar, où elle contemple avec un certain déplaisir son visage dans la glace tout en s'appuyant sur la pointe d'une de ses bottes noires [...] Du haut de son perchoir, elle me regarde enfin. Sa botte est toute proche. Je pourrais la lécher. »

(Rob Reuland, Point Mort, 2001)


J'ai acheté il y a quelques mois ce polar parce qu'il portait le même titre qu'un recueil de nouvelles sur lequel je travaille depuis deux ou trois ans ; tant pis ! il me fallait donc renoncer à ce titre...

J'ai toutefois découvert un roman d'une grande qualités, et parfois des impulsions pas forcément littéraires, proches des miennes.

Et j'ai trouvé, d'abord embarrassé, un autre titre : Vers le Grand Nul Part, qui s'impose de plus en plus à moi.

J'ai réalisé ce dessin en pensant à ces lignes de Rob Reuland, dans mon cahier de travail. Les bottes noires sont devenues bleutées, mais le bleu, autant que les bottes, est une manie, sinon une obsession chez moi !

vendredi, mars 14, 2008

« La Jeune Femme au manteau rouge (2) » (suite de la nouvelle)


Photo Yannick Vigouroux,
« La Jeune Femme au manteau rouge # 1 ,
8 h 40, 10 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)

Une partie de la suite imaginée pour la nouvelle La Jeune Femme au manteau rouge :

« Après plusieurs semaines d'absence, la jeune femme au manteau rouge s'est assise à nouveau en face de moi, s'excusant en passant devant mes genoux, d'un filet de voix doux et légèrement grave. Je n'avais encore jamais entendu sa voix, et l'idée que je m'en faisais était proche de ce timbre-là. Comme d'habitude, tout n'est que retenue dans son attitude, sa sensualité discrète et la sobriété de son habillement.

C'est à ce moment-là que j'ai pris la décision de poser un jour de congé la semaine suivante ; comme tous les jours je voyagerais avec elle mais au lieu de me rendre au bureau, je la suivrais, à distance, le plus discrètement possible, pour savoir où elle travaille, ou suit des études (je l'ai vue consulter un jour des photocopies ayant trait à l'histoire du cinéma) : peut-être est-elle en thèse – elle semble en avoir l'age en tout cas (environ trente ans) – ou / et enseigne-t-elle dans une université ?

Mais trêve de conjectures, peut-être est-ce au contraire une employée de banques ou d'assurances (de nombreuses succursales sont installées dans cette Ville Nouvelle de la banlieue parisienne). »


Photo Yannick Vigouroux,
« Train de Banlieue, gare de St-Cyr,
17 h 05,12 mars 2008 »
(Polaroïd i733)


Le même jour je lis, dans le train de banlieue justement, ces lignes de Pascal Mercier (Train de nuit pour Lisbonne, 2004) :

« Chaque fois que nous voyons quelqu'un d'autre, à chaque échange de regards, n'est-ce pas comparable à cette brève rencontre fantomatique entre voyageurs qui se croisent, étourdis par la rapidité inhumaine et le poing de la pression de l'air qui fait tout trembler et cliqueter ? [...]

N'est-il pas vrai que ce ne sont pas les hommes qui se rencontrent mais seulement les ombres projetées par leurs imaginations ? »

jeudi, mars 13, 2008

Se photographier comme un étranger...


Photos Yannick Vigouroux,
« Self-portrait with my pinhole camera, Paris, 2 juillet 2079 /
Self-portrait # 1, Paris, 12 mars 2008 »
(Sténopé Sony numérique / Polaroïd numérique i733 )


« Il essaya de procéder comme Prado : de se transférer à l'intérieur d'un regard étranger, le reproduire en soi, et avec ce regard, contempler son propre reflet. Se traiter soi-même comme un étranger, quelqu'un dont on vient juste de faire la connaissance. »

(Pascal Mercier, Train de nuit pour Lisbonne, 2004)


C'est exactement le sentiment que j'éprouve lorsque je réalise mon autoportrait (ce qui est devenu très fréquent depuis quelques semaines) : entrer en moi-même et sortir en même temps de moi, et, que je tienne l'appareil dirigé vers moi à bout de bras, ou que j'enregistre mon reflet dans un miroir, me fixer comme si j'étais un étranger.

mercredi, mars 12, 2008

Les bottes, ou les aiguilles de l'horloge du désir ?

Yannick Vigouroux,
« Galet photographique # 47, 2007 »
(sténopé numérique / digital pinhole)


Des jambes bottées qui seraient des « compas », mais qui pourraient aussi être, pour continuer à filer la métaphore des instruments et des mécanismes du désir, les aiguilles de mon horloge interne.

Xavier Martel m'écrivait en effet il y a trois mois, à propos de cette photo : « Si j'ai bien compris, voici un phantasme à 7 h 30. »

mardi, mars 11, 2008

Les jambes des femmes sont des compas ?


Photo Yannick Vigouroux,
« Paris, Gare Montparnasse, 10 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


Les jambes des femmes seraient-elles des compas dont les talons, surtout lorsqu'ils sont hauts, aiguisent, aiguillent litéralement le désir masculin ?

« Pour Bertrand [Morane], les jambes des femmes sont des "compas qui arpentent en tous sens le globe terrestre, lui donnant son équilibre et son harmonie." »

(cité par Antoine de Baecque et Serge Toubiana, François Truffaut, 1996)

lundi, mars 10, 2008

« Le Collectionneur de collections » (Henri Cueco)

J'ai connu quelqu'un, pour qui j'ai d'ailleurs une immense estime, qui m'a avoué de jamais rien jeter, même ses kleenex usagés...

L'on pourrait imaginer aussi des collections de chewing-gum séchés, de différents parfums et de différentes couleur, tailles, écrasés de manières différentes et collés sur ces pages, accompagnés d'une légende qui préciserait l'heure exacte et le jour où ceux-ci on était recrachés... Tout cela stockés dans une boîte, strates par strates...

Mes collections sont plus classiques : les tirages que j'échange avec des photographes contemporains, la photo de cinéma, la photographie ancienne (le plus souvent anonyme)... et je considère que chacune de mes séries photo est une manière de collection (ma récente collection de « fenêtres » ; ma collection de « jambes bottées» etc.), tout comme mes textes que je prends soin de classer par thème et chronologiquement dans des classeurs.


Anonyme, années 187-80,
tirages à l'albumine collés sur un carton format carte de visite
(coll. Yannick Vigouroux)


Plus sporadiquement... les appareils-photo amateurs ; les cartes postales anciennes, en particulier de bords de mer et celles qui sont colorisées ; les montres-bracelets (il m'arrive d'en porter une à chaque poignet) ; les pierres et bois flottés ramassés au cours de promenades ; les photos de femmes bottées (faisant de l'équitation par exemple) ; les objets représentant des vaches, chats et des tortues (depuis qu'Ulysse Guerrin m'en a offert plusieurs, je lui en offre aussi) ; les dinosaures en plastique ; les objets en plastique des Kinder-Surprise ; tout objet ou image de couleur bleue (ma couleur préférée) ; les cactus et autres cactées ; les galets en verre ; les carillons asiatiques dont j'aime tant les sonorités ; les masques et objets rituels africains ; l'art Inuit ; les soldats de plomb de la première Guerre mondiale ; les figurines et objets dérivés représentant des super-héros (Spiderman etc.) ; toutes sortes d'objets pieux de différentes religions ; les boîtes d'allumettes anciennes ; les porta-fortunas napolitains ; les objets en bakélite ; les portes plumes, stylos-plumes et coupe-papiers ; les bouteilles d'encre, même vides ; les encriers ; les couteaux anciens ; les tire-bouchons (mon préféré est le célèbre ZIG-ZAG)...

Tout cela ressemble à un « inventaire à la Prévert » et n'est probablement pas exhaustif (je dois oublier bien des objets...).

Mon ami Xavier Martel a lui longtemps collectionné les boîtes de sardines (en autres !). J'ignore si il les collectionne encore.

J'aime tellement les bottes en cuir que j'ai collectionné, ou plutôt « collecté » au fil de mes lectures, plusieurs phrases d'écrivains partageant la même propension, allant jusqu'à imaginer cette amorce de nouvelle :


« Juchée sur ses les talons hauts de ses bottes en cuir noir, dont la pression faisait légèrement craquer le parquet, assise à sa table de travail face à la fenêtre, la jeune femme nue comme un modèle à la Newton (elle n’avait pas fini de s’habiller avant de se rendre à son rendez-vous de 17h) jetait sur le papier les premières lignes d’un poème érotique (ou fallait-il dire plutôt, tout simplement, « sensuel « ?) qu’elle retranscrirait plus tard sur l’ordinateur. Elle pensait travaille la matière des mots pourtant intangibles, sculpter, façonner avec douceur et aisance leur silence, leurs sonorités émouvantes », mais ce n’était pas ce qu’elle voulait écrire exactement…; elle pensait plutôt à cet instant-là à la lumière grise et sale aujourd’hui sur Paris après la journée froide et lumineuse d’hier, bleue comme une promesse d’hiver perpétuel mais rassurant ; pas de mélancolie pourtant, elle sentait battre dans sa poitrine les pulsions caractéristiques de l’excitation naissante à chaque nouveau texte commencé. Elle reposa son stylo et rangea la feuille dans une chemise en carton ; elle allait être en retard et devait finir de s’habiller… Et parfois, il faut savoir laisser reposer les mots pour qu’ils s’imposent dans un second temps à vous avec plus de vigueur, comme l’étreinte ferme et tendre à la fois de l’amant… » (mai 2004)



Photo Yannick Vigouroux,
« Paris, février 2007 »,
de la série « Underground »
(Sony numériqu
e)


Par provocation, je prétendais au début des années 1990 collectionner les épingles à nourrice et j'avais même créé un faux tampon annonçant un salon international des collectionneurs d'épingles à nourrice tout çà fait imaginaire, se déroulant Porte de Versailles à Paris... J'en ornais les enveloppes des courriers envoyés amis. J'ai appris récemment par une archéologue, qu'en fait, l'histoire de l'épingle à nourrice existait bel et bien et était passionnante et qu'il existait réellement des collectionneurs ! Je leur présente donc mes excuses.

Mes envahissantes bibliothèques (surtout la section consacrée à la photo ! Romans, essais comme livres d'art, ceux qui sont dédicacés occupent une place à part et les genres y sont mélangés) et dévédéthèques qui remplissent mon 38 m 2 sont aussi, bien sûr, des collections...


Photo Yannick Vigouroux,
« Ma dévédéthèque [fragment], mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


J'ai déjà écrit que « tout photographe est un collectionneur » et rédigé un texte sur les « collections photographiques » de Caroline Bach (Cf. http://www.averse.com/bach/index.html
). Il y a quelques années, elle a photographié l'un de mes yeux (bleu clair) en très gros plan et l'a collé sur une planche avec d'autres spécimens... Mon regard était "épinglé" parmi tant d'autres !

J'ai « collectionné » beaucoup de visages, et parfois les « flux de conscience des personnes...


Photo Yannick Vigouroux,
« Flux de conscience de Yoshiko Murakami, 1993 »
(Polaroïd 600 et texte)


Martine Hamon a bien compris cette irrépressible propension à la collection en m'offrant le livre d'Henri Cueco, dont voici l'un de mes extraits préférés :

« C'est en tant que collectionneur que j'arrive à parler de mon travail L'esprit collectionneur donne un recul propice à des jugements scientifiques que l'on peut peut tenir proches de l'objectivité.

Naturellement, je dois avouer que, du point de vue strictement commercial, il s'agit d'invendus. Les invendus sont les investissements des artistes. »

(Henri Cueco, Le Collectionneur de collections, 1995)

Comme moi, Henri Cueco considère être le principal collectionneur... de ses propres oeuvres, et réaliser un bon investissement avec les toiles invendues qu'il dissimule parfois sciemment au regard de l'acheteur pottentiel ! (ce qui, en revanche, n'est pas mon cas).

vendredi, mars 07, 2008

« Chacun est une prolifération de soi-mêmes » (Fernando Pessoa)



Photos Yannick Vigouroux,
« Self-portrait # 4, Paris, 5 mars 2008 /
Self-portraits # 2 à 4, Paris, 2 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


« Chacun de nous est plusieurs à soi tout seul, est nombreux, est une prolifération de soi-mêmes ; c'est pourquoi l'être qui dédaigne l'air ambiant n'est pas le même que celui qui le savoure ou qui en souffre. Il y a des gens d'espèces bien différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent différemment. »

(Fernando Pessoa, Livro do desassossego, note du 30/12/1932)

jeudi, mars 06, 2008

« Le Jardin des enfances vénitien » (Véronique Guerrin)

Photo Yannick Vigouroux,
« Venise, sept. 1999
» ,
de la série "Littoralités" (box 6x9)

« Là-bas, la Venise végétale d'un songe mûrissant, l'image d'une ville engloutie sous les eaux du large espace, un escalier de pierres percé de lucarnes. Là-bas, le craquement de la lagune, des nuages d'entailles lourdes sur l'horizon d'une multitude errante, le chant d'un ange sylvestre ou l'île des étoiles perdues. C'est dans le murmure du coquillage que l'enfant reconnaît la voix de sa mère, comme un apaisement cadencé, d'ample et délicate flamme. C'est dans le crépitement des étincelles du bois qui s'enlace au papier que la phonétique de la lumière devient sensible, comme un mouvement qui dénude ce qui est caché.

Les souvenirs sont des graphismes d'enfants sur des papiers transparents, pliés en quatre et cachés dans des boîtes colorées. La mémoire est étrange : illunée, striée d'opaques nervures. Des visages dont on a oublié les prénoms, des paysages qui appartiennent à l'imaginaire, des plages sans grève, des comptines sans mélodie.



Photo Remi Guerrin,
« Venise, 1984 » (Nikormat)


C'est toujours un jeu sans cesse recommencé. Celui d'un prélude au clair de l'enfance. Et dans le jardin de la mémoire, l'enfant sculpte les gravures de lumière : les feuilles des arbres qui tombent, la vitre embuée, le drap qui frissonne, le poisson mort qui rêve sur la plage, la rose gelée sur sa tige froide et les soldats ivres dans la ville. La petite fille est seule. Elle a froid. Elle a peur. Mais voici que des empreintes de soleil et de nuages et de fleurs recouvrent la nudité de son corps.

Une mesure discrète élabore le foisonnement du mutisme. Nous devons apprendre à nous taire, à écouter l'immobile qui habite la matière. Ne plus rien dire. Et aussi, peut-être, ne plus voir, pour que l'insondable fragment du temps qui passe ne nous lacère plus. Renouveler le chant des
images, par cette intelligence lointaine et primitive qui tresse les chevelures fragiles des sirènes, et dans les ondées de brume et de lilas blanc, trouver l'île de la lande.

C'est une chambre d'ébène aux vieux meubles où la pénombre est sertie de mémoires. Les miroirs s'animent de jeux d'enfants, d'éclats de lumière, de tulipes blanches dans le vase du soir qui dort. Le dragon perdu ne se cache pas dans le coeur de la fleur mais dans la grotte de notre passé. Nous devons sans fin le dompter, le chevaucher, découvrir en lui son autre visage : celui du cheval blanc ailé qui nous emporte vers la Castalienne image. »

(Véronique Guerrin)

mercredi, mars 05, 2008

Je rêve que je dors

Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 751, Paris, 4 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


« Je rêve que je dors » : tel est le titre de l'une de mes séries, composée de fragments oniriques... C'est surtout au crépuscule, que j'aime nommer « l'heure bleue » (et en effet une lumière bleutée se reflète sur la façade du mur de l'immeuble d'en face, pendant quelques minutes), que j'aime écrire et photographier.




Photo Yannick Vigouroux,
« Paris, 2 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


[Cette autre forme de « fenêtre »... dans laquelle j'écris mes textes, sélectionne et retravaille mes images]

S'ensuit parfois une douce fatigue d'où surgissent nombre de spectres mentaux. J'aime certaines nuits blanches et lentes où le temps et l'espace s'écoulent et s'étranglent dans mon sablier mental, jusqu'au sommeil enfin conquis...

mardi, mars 04, 2008

La vidéo « Lost in Lust » de Philippe Calandre & Clara Lindbergh (2007)


Extraits de la vidéo de Philippe Calandre & Clara Lindbergh,
Lost in Lust
, 2007, 3 mn 41, prod. ART&A


Philippe Calandre n'est pas seulement un photographe talentueux, c'est aussi (activités pour l'heure moins connues hélas, mais que j'ai la chance de connaître depuis longtemps) un brillant designer, un compositeur de musique électronique et, avec la complicité de Clara Lindbergh, un réalisateur de courts-métrages qui reflètent dans le dernier cas le même humour enjoué, jubilatoire, que ses photos, même et peut-être surtout lorsqu'il est sombre et évoque le thème du crime. Un humour noir qui a d'ailleurs été récemment primé, à juste titre, par la manifestation « Saison Vidéo 2008, Lille # 32 ».

Voici sa déclaration d'intention :

« Nous voulions qu'à l'instar des jeux vidéos, le cadre de la caméra établisse un monde clos, dans lequel les acteurs sont prisonniers et isolés. Cette sensation d'oppression est délicate à exprimer sans montrer des images trop attendues ; c'est pourquoi nous avons utilisé la caméra subjective. Dans ce jeu de rôles, le spectateur peut ainsi faire l'expérience de cette poursuite contradictoire et être à son tout dans la peau du chasseur chassé. L'univers visuel de Hitchcock (dans Vertigo), de Kubrick (dans Le Baiser Du Tueur), de Jugar Hertz (dans L'incinérateur de cadavres) étaient très présents. »


« Lost in Lust » est visible sur : http://fr.youtube.com/watch?v=jJ9ljoUftns