mardi, janvier 29, 2008

Les « Galets photographiques », deuxième génération (la suite)

Photo Yannick Vigouroux,
« Galet photographique # 111, 2008 [ Rue Saint-Antoine, Paris] »

Je relis, encore, Francis Ponge :

« Le galet n'est pas une chose facile à bien définir.

Si l'on se contente d'une simple description l'on peut dire d'abord que c'est une forme ou un état de la pierre entre le rocher et le caillou.

Mais ce propos déjà implique de la pierre une notion qui doit être justifiée. Qu'on ne me reproche pas en cette matière de remonter plus loin que le déluge. [...] »

(« Le Galet », Le Parti pris des choses, 1942)

Mes « rochers » ou « cailloux », ou « galets », tels qu'ils sont explicitement nommés dans ma série, en référence aux « galets de verre », ne sont pas opaques du tout, mais plutôt translucides. Il y a des transparences indécises, qui se dispute leurs transparence aux opacités mosaïquées, incapable de se figer, inscrire dans le marbre noir de l'éternité. Des « Galets photographiques » innervés, brouillés et parfois, paradoxalement clarifiés par nombre de taches parasites... Concentrés sur eux-mêmes jusqu'à la distorsion compulsive – et libératoire, salutaire ?...

Ouvrir le champ de l'imagination, toujours. Et parfois il faut d'abord le restreindre pour qu'il s'ouvre soudain, simplement, comme « L' Huître » de Francis Ponge... vers des cieux glauques, incertains, indécis, mais de toute façon ouverts et illimités, jusqu'au vertige. Des sens. Du trouble photographique.

Des « Galets » parfois crispés, comprimés, dans un mouvement involutif et dur, comme une main éprouvant pour elle-même sa force de tension interne...

Ce mouvement introspectif, concentré sur lui-même, menace sans cesse d'imploser, ou d'exploser vers les contrées, hors-cadre (photo) ou hors-champ (cinéma) de nos fantasmes intimes enfin re-stimulés, réactivés.

Je ne me lasse pas de ces « Galets »... j'ai envie de les accumuler, de les semer (dans l'espoir de métamorphoses inttendues), de les égrenner derrière moi. De manière compulsive [quelle douce compulsion ! ], les reproduire, les transformer, les distordre... A l'infini.

Les « Galets photographiques », deuxième génération

Photo Yannick Vigouroux, « Galet photographique # 113, 2008 »

La deuxième génération de mes « Galets photographiques » : depuis quelques jours, je retravaille des images qui n'ont pas été prises avec mon sténopés numérique, mais avec un appareil numérique doté d'une optique. Admirateur, on le sait, des « Distorsions » d'André Kertész (Cf. dans Mucri, mon article http://mucri-photographie.univ-paris1.fr/article.php?id=12), je distords désormais mes prises de vue à l'aide de la bien-nommée fonction « distordre l'objectif » de mon nouveau logiciel de traitement d'image : les ressources créatives des flous et différentes aérations chromatiques et anti-perspectivistes (il s'agit bien sûr de la perspective euclidienne mise à mal) propre au sténopé... cèdent le pas à une netteté aux contours capricieux, un univers en apparence clos, replié sur lui-même, un microcosme qui est aussi un macrocosme, où infiniment petit semble se refermer sur lui-même pour mieux s'ouvrir sur le cosmos illimité de notre imaginaire, qui ne cesse de transgresser les règles et les limites.

Et je pense en écrivant ces lignes, à l'une de mes autres influences majeures, le poète Francis Ponge, qui écrivit :

« L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plutôt rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. [...] A l'intérieur, l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en-dessous s'affaissent sur les cieux d'en-dessous [...] Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner. » (« L'Huître », Le Parti pris des choses, 1942)

Puisqu'il s'agit d' « huître », je me souviens aussi de ce livre de cuisine du XVIIe siècle, consulté il y a quelques années sur une brocante, qui la décrivait ainsi, dans la recette du « Cygne aux huîtres » : « Sont certains poissons qui naissent entre deux cailloux».

mercredi, janvier 23, 2008

Les « Galets photographiques », un microcosme fantasmatique

Photo Yannick Vigouroux,
« Galet photographique # 75 »
(sténopé numérique / digital pinhole)

J'accumule les « Galets photographiques », fasciné par tous ces éclats de lumière, ces zones de réflexion et de fracture, qui loin de parasiter l'image, animent au contraire ce microcosme fantasmatique.

Des pensées flottantes, vagabondes et dilettantes

J'aimerais m'abandonner plus souvent à ces pensées vagabondes, dilettantes, que décrit si bien Anne-marie Garat dans Nous nous connaissons déjà (2003) :

« Le séjour provisoire donne plus d'acuité au charme provincial, aux aspects de l'architecture ou aux attitudes, et donne une aisance, une insouciance artificielles, puisque dans cette ville on ne doit rien à personne, personne ne vous attend ni ne compte sur vous, rien de ce qui s'y passe ne vous concerne, alors les pensées voyageuses, on peut dire dilettantes, et même frivoles, colorent de qualités pittoresques le moindre coin de rue ingrat, le bosselage capricieux d'un trottoir [...] »

S'égarer dans une province mentale, dans les ruelles sinueuses d'une insouciance flottante : je ressens souvent cela lorsque je voyage à l'étranger. Ce fut parfois le cas, il y a quinze jours, à Ixelles, à Bruxelles.

J'ai hélas peu voyagé ces trois dernières années. Depuis plusieurs mois, c'est le plus souvent lorsque je réalise un autoportrait que j'ai le sentiment de m'absenter du monde, d'échapper à la pesanteur de mon enveloppe corporelle. En déclenchant, je tente de m'extraire de moi-même. L'apparition de mon image est en réalité une négation de ce que je suis, une forme de disparition (certes très provisoire), impression que renforce le flou produit par le sténopé, les pixels brouillés, parasités par des taches. Ces dernières me font penser à un dépôt trouble, à la lie de mon inconscient qui remonterait à la surface de l'image. Prendre de telles photo est devenu un exutoire ; le rituel me soulage, me déculpabilise, me rends un peu plus indulgent vis-à-vis de moi-même... et des autres.

jeudi, janvier 17, 2008

Anne-Marie Garat : écriture romanesque et révélation photographique


Photo Yannick Vigouroux,
« My body (-pinhole) object ! (365 days project in 2079-80),
Paris, 17 février 2080
»
(sténopé numérique / digital pinhole)

J'aime beaucoup les romans d'Anne-Marie Garat, qui aime comparer notre perception du monde à la révélation photographique : les images apparaissent dans une camera obscura, ou « montent » sur le papier plongé dans le bain du révélateur.

Dans Nous nous connaissons déjà (2003), elle ne cesse de filer cette métaphore...

Et écrit aussi : « La vue, ou la vision, quand elle dessille nos yeux sur des réalités que l'ombre confisque, nous condamne à dévisage ce que, le plus souvent, notre cécité chronique nous épargnait, et lorsque se révèle ce que nous avions jusque-là ignoré, sous l'éclairage cru du jour ou de la conscience, ou du sommeil, nous maudissons la lumière, nous portons à nos yeux nos mains glacées d'effroi, nous nous détournons ou nous nous réveillons. »

mercredi, janvier 16, 2008

« Window # 565, Bruxelles [Chez Géraldine & Julian], 11 janvier 2008 »

Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 565, Bruxelles [Chez Géraldine & Julian], 11 janvier 2008 »

(sténopé numérique / digital pinhole)


« Ce n'était pas lui qui avait parlé. C'était son frère, dehors. Les mots n'en avaient pas moins frappé Tony qui, machinalement, se dirigeait vers la fenêtre, vers la fente de lumière ardente entre les volets.

Pouvait-on le voir du dehors ? Il ne s'en souciait pas. Sans doute que non, car, de l'extérieur, la chambre devait paraître obscure et, comme ils étaient au premier étage, on ne découvrait que son torse.»

(Simenon, La Chambre bleue, 1963)

Révéler et se dissimuler. S'avancer, reculer, s'avancer à nouveau, reculer un peu plus ou moins : c'est ce que fait tout photographe débutant, ce qu'on lui apprend dans les écoles... et ce que continuent à faire les photographes plus confirmés !

Évidemment, en lisant ces lignes de Simenon, on ne peut s'empêcher de pencher au principes des camera obscura et lucida... A ce qui motive nombre de photographes qui, comme moi, regardent sans jamais se lasser Fenêtre sur cours (1954) d'Alfred Hitchcock. Et dans mon cas encore, sont, de manière quasi obsessionnelle, fascinés par la mise en scène et en abîme du dispositif voyeuriste, refermé sur lui-même, mais constamment dirigé, orienté vers l'extérieur... Mouvements avant, mouvements arrière : un plan montre James Stewart reculant avec lenteur - puisqu'il est provisoirement (sa jambe droite est plâtrée) immobilisé dans un fauteuil roulant – dans la semi-obscurité de son appartement, s'écartant de rectangle de lumière près de la fenêtre où il épiait le voisin criminel de l'immeuble d'en face.

« Le gouffre de l'hérésie du moi» (Cioran)

Photo Yannick Vigouroux,
« My body (-pinhole) object !
(365 days project in 2079-80), 11 février 2080
»
(sténopé numérique / digital pinhole)


« Le gouffre de l'hérésie du moi ».
Cioran, citant Cadrakirti, dialecticien boudhiste.

La formule me plait. J'ai envie que mes autoportraits au sténopé numérique soient une forme d'hérésie. Et qu'on y sente toujours le tranchant de l'ironie, et de l'auto-dérision.


Et que mon écriture, ainsi que mes images, tendent vers cela :

« Le véritable écrivain écrit sur les êtres, les choses et les évènements, il n'écrit pas sur l'écrire, il se sert des mots mais ne s'attarde pas aux mots, n'en fait pas l'objet de ruminations. Il sera tout, sauf un antomiste du Verbe. La dissection du verbe est la marotte de ceux qui n'ayant rien à dire se confinent dans le dire. »

(Cioran, Vacillations, Fata Morgana, 1979)

vendredi, janvier 04, 2008

Le flux de conscience de Marie Gorlicki (Polaroïd 600)


Photo Yannick Vigouroux,
« Flux de conscience de Marie Gorlicki », Polaroïd 600 »

« Changement de programme
Et passage sous le flux de conscience
Flashée
Je cherche l'attitude et les mots
A poser »

Marie Gorlicki, Paris, 13 déc. 2007

Voici l'un de mes nouveaux « Flux de conscience »...