mardi, septembre 26, 2006

Polaroid et numérique 2 (« Venise, 1999 »)

(« Venise, 1999 ». Polaroid Image. Photo Yannick Vigouroux)

Destiné au départ à un usage strictement amateur, le film polaroid a vite conquis les artistes, en particulier dès les années 1970 (André Kertész et Walker Evans y ont eu abondamment recours à la fin de leur vie). J’ai toujours été fasciné par ces images contrastées, au grain prononcée, fortement saturées, qui auraient la coloration étrange et ambiguë d’une image mentale… L’on retrouve aujourd’hui cette tendance chez nombre d’auteurs qui restés fidèles au film argentique, emploient des toy-cameras tels que les Holga ou les Diana, redoutant que le numérique ne fige le monde sous la forme d’une imagerie lisse et hiératique. Et la disparition définitive de la pellicule. Crispation nostalgique ?… Je pense que cela dépend des personnes, et de leurs pratiques : il faut « juger » au cas par cas.

Polaroid et numérique 1 (« La Cuissarde noire, 2005 »)

(« La Cuissarde noire, 2005 ». Fujifilm Instax 8,6 x 5,4 cm.
Photo Yannick Vigouroux)

A l’ère du numérique triomphant, je suis revenu récemment au Polaroid, plus exactement la version dérivée produite par la marque Fuji, au bénéfice d’une promotion dans un hypermarché. Celle-ci proposait en effet l’appareil accompagné d’un pack pour un prix dérisoire. J’ai réalisé 10 minuscules petites vues dont je n’ai gardé qu’une celle-ci, fragment d’une main glissée dans une cuissarde de cuir noir. J’aime cette image pour son mystère, sa sensualité trouble et fétichiste… Le fait aussi que cette image soit unique. Je l’aime aussi pour ce noir profond brillant si particulier qu’on ne retrouve que dans les polas amateur.

lundi, septembre 25, 2006

Photographier sans appareil-photo

Après des semaines passées à ranger, trier, une dizaine d'années de production photographique, j'ai le sentiment, ne réalisant aucune prise de vue en ce moment, d'apprendre à voir différemment le monde ; je "capture" désormais des fragments de réel que je n'aurais sans doute pas remarqué habituellement. Ils nourrissent l'écriture du texte fictionnel que j'ai commencé. Trop photographier ce qui m'entourait, avec un boîtier argentique puis de plus en plus souvent avec des appreils numériques, avait fini par m'aveugler...

Pompéi


(Pompéi, 2003. Photos Yannick Vigouroux)

J’ai abordé Pompéi comme un théâtre d’ombres mentales, une construction fantasmatique. Paradoxalement, c’est la destruction de la ville qui a sauvé celle-ci de l’oubli. Les laves du Vésuve l’ont embaumée ; elle est en elle-même une vaste momie comme les moulages des corps contorsionnés tentant en vain de se protéger des fumées asphyxiantes. Mais des moulages en creux, car c’est dans le vide laissés dans le sol par les corps que les archéologues coulent du plâtre pour sauver les fantômes des corps. Pratique troublante de révélation d’une présence par son absence, remarquablement évoquée par Roberto Rossellini à la fin du Voyage en Italie (1954).

Dans une série de cartes postales vendues à la sortie du site, la légende italienne d’une photo, « Calchi di fuggiaschi in un orto », est traduite dans un français très approximatif par « Calques de fugitifs dans un jardin ». J’ai justement retrouvé, du fait du coup de flash mal synchronisé au temps de pause, ce « calque » humain, cette transparence fantomatique – certaines personnes apparaissent deux fois, se dédoublent – dans certaines photos de rue prises à Naples avec mon appareil Holga…

mercredi, septembre 20, 2006

Henry Miller, "Plexus"

(Mallorca, 2002. Photo Yannick Vigouroux)

"Rien n'était trop insignifiant pour échapper à mon attention. Si j'allais me promener - et je cherchais constamment des excuses pour me promener, pour explorer, comme je disais - c'était avec le propos délibéré de me transformer en un oeil énorme."

(Henry Miller, Plexus, 1952)

vendredi, septembre 15, 2006

Blogs, journaux intimes et numérique...


("Waouuh"/"Ils sont cons les autres!" : autoportraits de sandrine Calvet)

En novembre prochain, je serai, à l'invitation de jean-André Bertozzi, amené à intervenir sur le thème du "Journal intime, du blog et du numérique" auquel j'ai déjà consacré nombre d'aritcles, au CNDP de Bastia. Sera évoqué notamment le formidable travail polymorphe de la webcréatrice Sandrine Calvet... Son portail est : http://buffetfroid.net

Le sténopé révélateur d'âme

Il y a environ deux ans, j’ai rencontré Michel Galley, l’un des membres de l’association Oscura. Pendant que nous mangions nos sandwichs, il m’a raconté cette anecdote qui eut lieu lors de l’un de leurs ateliers de sténopé au Mali. Il m’expliqua malicieusement qu’il avait mis au point un système très simple pour obtenir directement des images sur papier ; il suffisait d’enrouler le papier vierge sur l’un des axes et de le dérouler au fur et à mesure des prises de vue faites à l’aide d’une box débarrassée de sa lentille. Evidemment, sur le tirage, les valeurs se trouvaient inversées. Un Africain obtint ainsi un autoportrait bien inattendu pour lui : son visage désormais était blanc, d’une blancheur parfaite aussi : il ne voulut pas inverser les valeurs en reproduisant ce tirage afin qu’il soit à la couleur de son visage plus fidèle ; car selon lui le boîtier sommaire avait enregistré son âme. Il est vrai que pour les animistes, l’âme de chaque individu est blanche, c’est aussi la couleur des ancêtres (c’est pourquoi les masques et les corps sont parfois enduits de kaolin).
Et je me suis demandé : ne partageons-nous pas, nous autres occidentaux, ce genre de croyance ? Qui n’a jamais été troublé par la découverte d’un négatif révélant des visages et des objets familiers inversés, si identifiables et irréels, méconnaissables ? Balzac ne croyait-il pas, comme le raconte Nadar, que le daguerréotype délitait progressivement les différentes strates de l’être ?

[le site internet de l'association Oscura est : http://www.vuesimprenables.com]

Foto Povera At Work by Jean-André Bertozzi

(Stamtish varoise. Juillet 2006. Photo J-A. Bertozzi)

Le voyage à Hué de Remi Guerrin

(Photo Remi Guerrin)

Sur http://www.ai-kan.com/, découvrez les cyanopes et les impressions de voyage de Remi, rentré depuis quelques mois du Vietnam.

Le Sablier de l'espace (Merlimont)

("Littoralité", Merlimont, 2004. Photo Yannick Vigouroux)

Le Sablier de l’espace


"Tout est affaire de décor" : la station balnéaire de Merlimont est un endroit improbable qui ressemble autant à un décor de cinéma qu’à un lieu de villégiature. C’est aussi le cas de la très populaire ville de Berck voisine, à laquelle les immeubles de front de mer années cinquante bariolés, l’odeur des gaufres, la musique d’un manège à l’ancienne et les fauteuils roulants donnent une coloration encore plus mélancolique et surannée...
A marée basse, l’espace s’étire jusqu'à la crête des vagues au point de s’annuler. La plage se confond enfin avec l’implacable horizontalité de la mer, rencontre attestée par un minuscule bafouillage d’écume. Le temps ne semble avoir aucune prise sur la ville, comme s’il s’était échoué sur la plage avec les bunkers disloqués, hérités de la Seconde guerre mondiale.
Ces constructions en béton donnent justement la mesure du lent et irrévocable passage du temps. A la fois machines de visions archaïques (l’une d’elles est en effet percée sur ses deux flancs de lucarnes) évoquant une camera obscura ou une chambre photographique, et sabliers, elles sont traversées et abandonnées par le sable. Celui-ci les libère progressivement de leur gangue initiale, les fait basculer à mesure que la plage recule, grignotée par la mer. Les blockhaus enregistrent ainsi, au rythme des marées et des tempêtes, l’apparente suspension du temps qui s’écoule malgré lui, ainsi que l’étirement de l’espace qui s’effondre, repoussant les rondeurs des dunes vers l’intérieur des terres. L’espace et le temps ensablés possèdent à Merlimont une surprenante qualité de lenteur. Ici, tout semble possible à force d’être improbable.





jeudi, septembre 14, 2006

Le plaisir du ratage et autres plaisirs minuscules


("Non facturé", aquarium de Barcelone, 1996. Photo Yannick Vigouroux)

L'arbre-roi

("Chalk Farm, London, 2002". Photo Yannick Vigouroux)

mercredi, septembre 13, 2006

"La vie n'est pas ce que l'on a vécu..."

"La vie n'est pas ce que l'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient."

(Gabriel. G. Marquez, Vivre pour la raconter, 2002)

jeudi, septembre 07, 2006

L'oeil de la sirène (éd. Chambre à Part, Strasbourg)

("Littoralité", Merlimont, 2001. Photo Yannick Vigouroux)

A paraître dans quelques mois, le livre issu des rencontres photographiques organisées à Merlimont, petite station balnéaire du Pas-de-Calais, par l'association strasbourgeoise Chambre à Part (www.chambreapart.org) : on y retrouvera mes photos, ainsi que celles de Remi Guerrin, notamment... Et l'un de mes textes, un autre de Véronique Guerrin, qui écrivit aussi à l'occasion de ces séjours :


"LES GRIFFONNIERS DE LA PLAGE
Merlimont 2004

Nous griffonnons sur le sable, sur les feuilles des arbres, dans la vastitude lointaine. Nous marchons dans les rues fardées de publicité. Nous sommes encore dans le temps de l’absence d’images. Étrange endroit, de bruits diffus et de flâneries, de chambres et de maisons aux volets clos. Les dunes se confondent parfois avec l’architecture des immeubles. D’épiques balcons où des salons complexes sont installés pour l’été surplombent le sable et les gravas. Une grue s’inscrit sur les nuages qui s’échevellent. Durant les premiers instants, tout ressemble à un grand jeu de marelle où l’on sautille sur les pas des autres, où l’on regarde aussi là où d’autres ont regardé, il y a longtemps, maintenant. C’est un silence imposant d’esthétique démesure et de lente composition qui s’inspirent des corps voilés, des arabesques des cerfs-volants et des grains sableux déplacés par les bourrasques venteuses. Les rayons de soleil s’ensommeillent sur la jetée. La lumière domine. L’énergie de la vague. Chacun y cherche son eau de jouvence créatrice. C’est parfois un élixir bien matériel, au café de la plage, qui libère l’émotion ; C’est parfois l’image virtuelle qui s’insinue dans la conscience. À l’abri des autres regards- A l’abri de la foule- A part des autres- Et au centre de tout et de tous."

Cartes postales

"Mais le voilà, le paysage type qui plairait aux touristes de la nouvelle vague ? [...] Bon, mais alors, que faudrait-il faire ? Eh bien, si c'était moi, je m'adresserais à un habile photographe, je lui commanderais ce qui se fabrique de mieux comme cartes postales. Dame, autrefois, on faisait d'abord une sélection des sites, et puis on en tirait des cartes postales. Faisons l'inverse, à présent : tirons d'abord les cartes postales, puis rendons célèbres les sites. Ce n'est pas plein de bon sens, ça, non ?"

(Abé Kobo, La Femme des sables, 1964)

Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ?, la suite (5)

Une nouvelle photo anonyme, acquise récemment, extraite elle aussi de ma collection...

« Qu’il s’attache à l’exotisme des pays lointains ou à la mythologie familiale, l’album déroule les épisodes d’un roman privé qui sonde la cellule sociale dans son récit festif et cérémoniel. A cet exotisme ordinaire se mêlent souvent des images d’un exotisme plus radical : l’étranger y est présenté sous forme de clichés plus ou moins liés à une vision fantasmatique de l’autre. Les colonies et pays lointains exercent une forte fascination sur le grand public et les créateurs. L’étrangeté de l’image de l’autre hante l’imaginaire de l’époque. »

(Christian Gattinoni et Yannick Vigouroux,
La Photographie (1839-1960), éditions Scala, 2001)

mardi, septembre 05, 2006

"Replay..."










("Paris, 2001"/"Replay, 2005".
Photos Yannick Vigouroux)


Chaque nouvelle image ne serait-elle qu'une redite ? Une vaine répétition de ce qui a déjà été fait ? Un simulacre de simulacre ?

Toujours est-il que je trouve toujours autant de plaisir qu'il y a quinze ans dans ce qu'il faut bien nommer "compulsion de répétition". Le plaisir à faire des images résidant aussi dans les infimes écarts par rapport au modèle, cité consciemment ou non...

Lâcher-prise canin

("Napoli, 2003." Photo Yannick Vigouroux)


"Now I wanna be your dog..." (Iggy Pop)

"Les conspirateurs", 1990

(« Les conspirateurs », Saintes-Maries-de-la-Mer, 1990.
Photo Yannick Vigouroux)


J’ai pris cette photo en 1990, dans l’église des Saintes-Marie-de-la-Mer. Un climat étrange de dévotion mêlée de fétichisme – nombre d’ex-voto dont des prothèses y étaient déposés –, régnait dans cet édifice exigu et sombre, sentant à la fois l’encens, le renfermé et la bougie fondue. A un moment précis, une scène s’est mise en place dans le viseur de mon Olympus OM 10 : j’ai déclenché.

Je n’ai retrouvé cette image qu’en 2005, et l’ai alors légendée « Les conspirateurs ». Inclassable dans ma production habituelle, stylistiquement différente, elle reflète me semble-t-il mon goût prononcé pour le fantastique littéraire et cinématographique. Cette scène ressemble justement à une image arrêtée de film. Plus que dans mes autres clichés, je crois qu’il y a là en germe toutes les virtualités d’une fiction littéraire, d’un roman-photo… ou d’un court-métrage.

"We never have enough film and enough time !"

« We never have enough film and enough time ! », déclara ce touriste américain après avoir photographié un paysage de Capri. « On ne reviendra peut-être pas… » surenchérit à mes côtés Anne-Marie qui tenait dans ses mains son appareil compact. Je lui rappelais alors que, pour ma part, j’avais depuis longtemps décidé de ne plus réaliser de photos souvenirs (sauf quelques photos ironiques et malgré tout sentimentales, jouant avec les codes de telles images…), mais seulement des photos relevant de mon travail artistique.

L’idée, jamais mise en pratique, nous était alors venu, dans ce magnifique jardin donnant sur la mer, où deux jeunes amoureux contemplaient, enlacés, le point de vue le plus célèbre de l’île, d’interroger des personnes sur leur rapports à leurs photos souvenirs. Celles qu’ils ont prises ou n’ont pu prendre (faute de recul, de temps ou de pellicule – et désormais avec le numérique, de batterie ou de mémoire sur la carte – etc.) ou aimeraient réaliser : peut-être celles qui existent ne sont-elles pas les plus importantes finalement ?… Pourquoi toujours charger son appareil d’une pellicule et ne pas photographier à vide pour mieux faire travailler son imagination et peaufiner les imperfections du souvenir ? Le tirage est il est vrai un formidable fétiche bidimensionnel, un support fantasmatique qui adhère au réel autant qu’il le déforme. Il génère autant de satisfaction que d’angoisse…

Mais en déclarant que « mes photos n’étaient pas des photos souvenirs », j’avais tort, j’en suis conscient aujourd’hui. Elles le sont toutes en réalité, et ma conviction à ce sujet n’a été que fortifiée par le classement et le tri, ces dernières semaines, de mes dix années de production passée. Ce sont la plupart du temps des « Littoralités » (photos de littoraux et zones portuaires) prises à l’occasion de voyages accomplis avec Anne-Marie – c’est elle qui m’a initié à cette notion de voyage qui m’était complètement étrangère, je ne connaissais que la notion de vacances, ce qui n’est pas tout à fait ni même du tout la même chose ! Ces paysages sont tous, malgré moi, des fragments d’un journal intime, bien qu’il ne s’agisse pas de mon intention première…

vendredi, septembre 01, 2006

"Le visage est une force vide..." (A. Artaud)

("Underground", Paris, 28 janvier 03. Photo Yannick Vigouroux)


« Le visage humain est une force vide, un champ de mort.
La vieille revendication révolutionnaire d’une forme qui n’a jamais correspondu à son corps, qui partait pour être autre chose que le corps.
C’est ainsi qu’il est absurde de reprocher d’être académique à un peintre qui à l’heure qu’il est s’obstine encore à reproduire les traits du visage humain tels qu’ils sont ; car tels qu’ils sont ils n’ont pas encore trouvé la forme qu’ils indiquent et désignent ; et font plus que d’esquisser, mais du matin au soir, et au milieu de dix mille rêves, pilonnent comme dans le creuset d’une palpitation passionnelle jamais lassée. »

(Antonin Artaud, extrait du texte de l'exposition de ses dessins à la galerie Pierre Loeb, juillet 1947)

L'écriture critique : autocritique et... fin

J’ai décidé, et cela fait déjà plusieurs mois que je m’en suis ouvert à quelques amis, de renoncer à mon activité de critique d’art.

Peut-être y reviendrai-je un jour, qui sait, mais pour l’heure j’ai le sentiment d’être arrivé à la fin d’un cycle.

A la photographie, en revanche, je n’y renoncerai jamais, en tant que photographe amateur en tout cas, comme tout un chacun, ce que finalement je n’ai jamais cessé d’être…

Depuis longtemps, les termes « critique » et « commissaire d’exposition » m’embarrassent, suscitent en moi un malaise qui va grandissant : ces expressions m’ont toujours semblées présomptueuses, chargées d’une sourde menace.

J’espère en tout cas avoir élaboré un métadiscours de qualité, en artisan consciencieux de l’écriture, mais j’éprouve désormais le besoin impérieux de me recentrer sur une écriture plus personnelle. Le début de la fiction à laquelle je travaille depuis la semaine dernière met en scène un couple qui se déchire parce que l’homme a les ongles sales…

« Tu as les ongles sales !… » : à partir de ce détail autobiographique en apparence insignifiant, de cette banale phrase d’ouverture, les choses vont s’enchaîner inexorablement, et les comparses révéler des rancœurs trop longtemps dissimulées.