vendredi, décembre 14, 2007

Les Baigneurs de Philippe Calandre


Photo Phlilippe Calandre, « Baigneur, 2005 »

Ces baigneurs photographiés puis retouchés avec de la peinture, semblent enfermés, tels des bijoux précieux et fragiles, dans des galets de verre, à moins qu'ils ne soient peints sur des galets de pierre... Selon le photographe, l'idée de cette « gangue » transparente lui serait venue des gouttes de transpiration ou de mer qui perlent de la peau au sortir de l'eau.

Jadis, les marins immobilisés tuaient le temps en mettant de minuscules navires en bouteilles... De même, renouant sans doute inconsciemment avec cette tradition, Philippe Calandre a photographié durant l'été 2002, les paquebots du port du Havre et les tours d'observation, avant de les recouvrir de peinture, en les inscrivant dans un ovale qui évoque la convexité d'une bouteille. Sa nouvelle série s'inscrit dans la même logique.

Les estivants sont donc retouchés après prises de vue numériques, comme au temps des primitifs de la photo. Retouchés mais surtout flouttés autant pour préserver leur anonymat que par intention artistique...

Le regard est implacable mais jamais méprisant : ventres bedonnants d'hommes d'âge mur au bronzage teint d'écrevisse ; nichons tombants de femmes trop maigres, anorexiques, rivées sur la courbe de leur scoliose ou au contraire engoncées dans leurs bourrelets de cellulite... De Lisette Model à Martin Parr, le regard sur les estivants est souvent cruel et montre sans ambages les difformités et le vieillissement du corps. Pourquoi une telle fascination ambivalente, ce mélange d'empathie et de vague dégoût ? La plage, comme tant d'autres lieux de loisir – une fois l'an seulement pour la majorité d'entre nous – est le lieu d'un étrange et radical retournement des conventions sociales. Dans cet espace bien connu de drague et d'exhibition de soi, les individus dévêtus semblent souvent avoir abandonné toute forme de pudeur alors que celle-ci prévaut dans leur vie socioprofessionnelle...

Au lieu d'être les consommateurs d'objets bon marché achetés dans les boutiques de souvenirs des stations balnéaires, de la souvent grossière mais émouvante production locale aux produits stéréotypés désormais produits en Chine (il suffit parfois seulement de changer l'autocollant de la station !), les estivants dénudés deviennent l'objet-même du souvenir. Auraient-ils été pris au piège dans la sécrétion aqueuse de leur propre corps ?...

Le baigneur est ironiquement enfermé bien sûr dans les conventions d'une pratique mixte qui renoue avec celle des primitifs de la photographie. Mais aussi, comme le narrateur imaginé par Julio Cortázar passant de l'autre côté de la vitre à force de contempler dans un aquarium les batraciens axolotls, survivants archaïque de la Préhistoire (Cf. la nouvelle éponyme publiée en 1959), l'homme est passé de l'autre côté des apparences : à force peut-être de contempler les pores de son propre corps et ceux des autres à longueur de journée ? de s'être s'être abandonné, entre de jeux de plage, de pause et de pose, à cet aussi langoureux que nécessaire ennui (que l'on n'ose s'avouer) ?... Désormais, il est encapsulé dans son image.

Yannick Vigouroux, Paris, août 2005, revu et corrigé par l'auteur le 27 novembre 2007 (article publié initalement dans exporevue.com en 2005, supprimé de la revue la même année à ma demande car ayant démissionné de celle-ci quelques mois plus tard, pour rejoindre mon ami et ancien professeur à l'ENP, Christian Gattinoni, au sein de www.lacritique.org)

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