jeudi, septembre 24, 2009

« Liquid Mercury 2 » de Elodi Laurent

Anonyme, France, c. 1920
Plaque de verre positive
et stéréoscopique 5,6 x 12,9 cm
(Coll. Yannick Vigouroux)






L'une de mes images – l'une de celles que j'aime nommer une « une littoralité faite par d'autres » –, issues de ma collection de photos anonymes, vient d'être publier dans la deuxième livraison de « Liquid Mercury » de Elodi Laurent, une galerie de photos d'amateurs, de famille etc., à propos de laquelle Elodi déclare avec humour :

« Encore des images inclassables, drôles, intimes, ratés, contemplatives, égocentriques....!!
Confession: j'ai ajouté des images persos (?!) »

Dans cette vue stéréoscopique, j'aime tout particulièrement l'expression enjouée de l'homme (la seconde personne en partant de la gauche) qui, enveloppé dans sa serviette de bain, ressemble un peu, sur un mode burlesque, à un empereur romain drapé de sa toge.



http://leboudoirdegrandmere.over-blog.com/album-1458864.html

http://www.flickr.com/photos/yannickvigouroux/sets/72157594312338896/


dimanche, septembre 06, 2009

D'un lieu à l'autre, d'une image à l'autre : les fictions intimes de la photographie...

Photo © Bruno Debon, « USA, été 2009 »




Lorsque je regarde cette photographie de Bruno Debon, réalisé lors de son récent voyage aux Etats-Unis, j'ai la sensation d'entrer littéralement dans une toile d'Edward Hopper, et bien sûr dans ce lieu réél où je ne suis jamais allé physiquement. D'ailleurs je ne suis jamais allé aux Etats-Unis. La lumière est si douce, ... cette pièce désaffectée dans une ancienne cité ouvrière est avant tout une chambre claire, une camera lucida, une matrice d' images...
Cela fictionne, et j'ai aussi envie de relire les nouvelles de Raymond Carver.

L'expérience vécue par Rémy Weite et Danielle Levin trouve écho en moi, à l'expérience que je viens de vivre avec l'image de Bruno – à cette différence prêt que Danielle connait bien La Ciotat, et moi pas du tout cette ville-fantôme américaine...

Les deux expériences se confondent désormais dans mon imagination ; c'est comme si l'image de Bruno, qui d'ailleurs vit près de la Ciotat (et avec qui j'ai rendu il y a deux ans, là-bas, visite à Bernard Plossu et Françoise Nunez ; balade en mini-car avec Bernard qui s'improvise guide ; journée radieuse placée sous le signe de l'amitié et de notre passion commune pour la photo, le cinéma, la littérature...) s'inscrivait désormais en pointillés dans celle de Rémy...


Voici la correspondance électronique échangée ces derniers mois entre Rémy et Danielle :

« 24 décembre 2008

J’ai beaucoup aimé la série Paris. En regardant défiler les photos, j’avais tout le temps en tête une phrase : " le regard découpe le réel ". Le regard du photographe qui me donne à voir autre chose et au-delà de ce qui figure sur la photo, voir à travers son propre regard, voir son regard même. C’est ce qui provoque l’émotion – esthétique : entrer dans un monde autre, à la fois familier et inconnu, étrange, unique, inédit, " invu ".




Photo © Rémy Weite, « La Ciotat, été 2008 »




Cette émotion-là a atteint pour moi la puissance d’un choc, celui que provoque parfois un léger vacillement, dans la série " Rivages ", avec une photo dont j’ai immédiatement identifié les moindres détails de ce qui s’y montre et de ce qu’on n’y voit pas : l’Ile Verte au loin, la jetée, le pin parasol, le ciel qui s’éclaire à l’est ; la baie de La Ciotat, son eau bleue, ses petits bateaux blancs ; la lumière très particulière du matin, assez tôt sans doute, (l’ombre portée de l’arbre) vibrante, légère et fraîche. Mais aussi le bruit chuintant du ressac qui glisse sans fin sur les galets, l’odeur iodée du varech, et à quelques mètres à peine, en contrebas, la Pierre Plate, (une large pierre plate) depuis longtemps disparue, où parfois nous venions pique-niquer et nous baigner à midi, en été, mes parents et moi ; ou encore, hors champ, le petit port des Flots Bleus, au-delà de la jetée, ou, juste la route à traverser en tournant le dos à la mer, l’entrée entre deux pilastres du petit chemin bordé de vignes menant à la maison des Règne, morts tous deux depuis longtemps, Le Ressac, où j’ai passé mon enfance… Ce paysage connu par cœur, contemplé tant et tant de fois, sous le soleil et sous la pluie, et à chacune de mes visites à mon père, qui fait partie de moi, souvenirs et émotions.

Et qui tout à coup m’est donné à voir autrement, inédit, invu, étrange et même étranger au point que je me demande encore si c’est bien ça, si je ne fais pas erreur, si l’île, la jetée, le pin, l’eau bleue n’appartiennent pas, en réalité, à un autre lieu, autre part, inconnu de moi et d’où je suis totalement étrangère.

Et c’est vrai, ce paysage-là, dans ce regard-là, cette lumière, ces couleurs, ces formes, ces ombres, je ne les avais jamais vus, je ne leur appartiens pas. Disparaît avec mon absence le point aveugle d’où d’habitude je les vois. Je les regarde d’ailleurs et c’est un plaisir, une sensation unique, qui ne ressemble à rien d’autre.
Bonnes fêtes à toi et tous les tiens.
Danielle. »


« 15 avril 2009
Rémy,
Cette photo est magique. Je pense que je ne percerai jamais son mystère. C'est vraiment un très beau cadeau, alors merci.
Danielle. »

« 21 mars 2009

Je suis retournée voir la photo de... je ne sais pas comment l'appeler, et je ne sais pas si tu lui as donné un nom (je pourrais dire : "ceci n'est pas La Ciotat"), ce que je n'avais pas fait depuis plusieurs mois, et j'ai à nouveau été saisie, oui, comme physiquement, quelque chose qui attrape et qui serre. A nouveau cette même étrange expérience.
Serait-il possible d'acquérir un tirage de cette photo ? »


« Paris, 29 juin 2009

Cher Rémy,

Choc de la rencontre. Je suis à La Ciotat, à l’entrée de la plage des Capucins, juste après les Flots Bleus, là d’où je pensais que tu avais pris la photo, au lieu même que j’avais reconnu, et précisément identifié malgré le sentiment d’étrangeté qui ne m’a jamais quittée.

Mais ce que j’ai sous les yeux, n’a rien à voir ni avec celle-ci, ni avec mes propres souvenirs de l’endroit. Des palmiers au lieu du haut pin parasol que je m’attendais à retrouver, une barrière métallique au-dessus du port au lieu d’un simple muret, une jetée désaxée, faisant avec le rivage un angle improbable, incompréhensible. Et puis, surtout, l’Ile Verte, là-bas, non pas comme une île, entourée d’eau, mais reliée à la terre - effet de perspective - par la jetée du port. Inséparable du phare rouge, des navires en cale, des bâtiments et des grues du chantier naval, qui l’attachent au port sans solution de continuité et dont elle constitue comme le prolongement naturel.

Vertige du même qui n’est pas le même. La même île, la même eau bleue, la même jetée, mais amarrés autrement au paysage, dans un ordre différent.

Alors je marche vers la Grande plage, et juste avant d’y arriver, la petite place avec le monument aux Frères Lumière. Et oui, là le pin aux deux branches, le muret, la mer en contrebas, la jetée, et puis, bien sûr, l’île lointaine et proche, surgie de la mer, posée sur l’horizon, entourée d’eau, ignorante de la ville.

Le regard pictural du photographe, le cadrage, la lumière, les couleurs, la perspective, le rythme, tout ce qui fait création, dégagée de tout naturalisme ou d’une quelconque copie de la réalité, je ne les ai pas retrouvés bien sûr. Ils sont la photo même, et ne peuvent se trouver nulle part ailleurs.

Mais au-delà du bonheur esthétique, cette photo accomplit pour moi un petit miracle : celui de me restituer la vérité d’une réalité passée qui s’enracine dans le mensonge même de mon souvenir.

En recréant ce monde apaisé et tranquille, la lumière intense, l’eau si bleue, la frondaison si verte du pin, son tronc et ses branches rougies du soleil levant, toutes ces couleurs saturées, et l’île allongée sur la mer comme une promesse au milieu de l’eau. Oui, si miraculeusement et si précisément réinventé, tel qu’il existait très exactement dans mon enfance, le souvenir rendu à la vie.

Alors encore une fois, merci.

Danielle Levin »