dimanche, janvier 30, 2011

Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? (23) : une excursion qui ressemble à une partition musicale



Photo ROGER, Touêt Sur-Var (A-M), « Excursion sur Valheng [sic], avril 1952 »
Tirage argentique original d'époque, glacé, 18 x 13 cm
(Coll. Yannick Vigouroux)




Le rituel de la pose, et de la pause, lors d'une excursion, devant la montagne et le village qui y est accroché.

Une situation pleine de décontraction, celle du tourisme d'entreprise, ou de corporations, dans les années 1950.

Mais plus involontairement, bel inconscient visuel sans doute, plus qu'un acte prémédité par le photographe, l'autobus forme avec le rang d'oignons des voyageurs enjoués qui cèdent bien volontiers au rituel, un joli contrepoint visuel aux maisons égrennées plus haut, comme dans une partition musicale.

vendredi, janvier 21, 2011

De la toile du Net à la toile d'araignée, la photographie télépathique selon Steven Lumière Moussala













Le photographe franco-congolais Steven Lumière Moussala a décidé d'aborder de manière aussi frontale que paradoxalement biaisée la question de la relation à autrui, en recourant à « Skype ». Les technologies dites « nouvelles » ont, en quelques années seulement, bouleversé nos repères spatiaux et temporels. Le logiciel utilisé permet en effet de communiquer gratuitement avec des personnes qui résident parfois à l'autre bout du monde (une nécessité pour ce jeune homme dont la famille vit en Afrique noire, alors qu'il étudie actuellement à Rennes), grâce à une webcam et à un casque équipé d'un micro. Le visage figé sur l'écran, si « présent », « vivant », semble en même étrangement désincarné et éloigné. Le résultat est troublant. Le son a disparu. Des échanges entre les internautes il ne subsiste que ces surprenants fragments visuels, muets et parfois dégradés, que le jeune homme retient dans les mailles serrées de pixels normalement éphémères. Quand la « toile du net » devient « toile d'araignée »...




« La toile d'araignée, ou la photographie télépathique

En somme photographier sur Skype, c'est rendre visite à une personne dans le temps et dans l'espace. C'est comme traverser une frontière invisible afin de saisir, capter l'univers de chacun, son tempérament...

J'ai eu envie d'entrer en contact avec mon regard, comme si je pouvais littéralement les toucher, mes relations, dans le milieu où elles vivent, m'inspirant ainsi de Nan Goldin qui prend en photo son entourage et réalise une chronique contemporaine. Réaliser les photos sur Skype, c'est rentrer en connexion avec le monde de chacun. Car, selon moi, il n'existe pas UN MONDE mais des MONDES.

Saisir des instants flous, c'est aussi rendre compte du temps qui passe et nous rattrape toujours.

Faire des photographies sans tambours ni bruits, c'est raconter le visible sans être vu.

L'intérêt de ces images réside avant tout dans le fait quelles proviennent de lieux géographiques très différents et souvent très éloignés : Rennes, Nîmes, Paris, Brazzaville, Dakar, Amsterdam, Bamako... Ce travail est un journal intime, qui est le mien et fixe en même temps l'espace de chacun, dans un rêve communautaire, relationnel, qui se veut une toile d'araignée. Une toile d'araignée amicale bien sûr. »

( Steven Lumière Moussala)

jeudi, janvier 20, 2011

« Le Baiser – temps gris » (1942), par Willy Ronis







C'est une photographie très peu connue de Willy Ronis, mais qui fut exposée au moins une fois, comme en atteste le contrecollage sur carton caractéristique des années 1950 à 1970. Le temps est « gris » en effet comme l'est le tirage peu contrasté réalisé par l'auteur, « mou ».

Ce dernier montre un couple déjà âgé. La femme lève un regard plein de tendresse vers son mari qui la serre dans ses bras et l'embrasse sur le front. C'est au contraire une belle et éphémère lumière hivernale qui vient de tomber sur le tirage que je suis en train d'inventorier.

1942 : face à cette image heureuse, je songe aux circonstances tragiques de cette année-là. Les Allemands envahissent la zone libre et Ronis se cache dans le sud-est de la France. Devenu peintre sur bijoux, il rencontre alors Marie-Anne, sa future épouse.

Ce « baiser par temps gris » illuminera doucement ma journée de travail et me fera oublier la grisaille du ciel parisien.

mardi, janvier 18, 2011

Christophe Mauberret, « Le Point sur les Ensembles », exposition à la galerie Satellite, Paris, janvier - février 2011






© Photo Christophe Mauberret,
de la série « Solaristique » 
(image préparatoire)





 « Voigtland

Cette série compile des photographies prises indifféremment dans des lieux du monde ou dans des espaces clos et scénographiés. Il s’agit là de proposer au spectateur un jeu d’association libre entre les images, selon qu’il choisit de privilégier l’aspect formel, chromatique ou le sujet même de la photographie.

De surcroît, les images de Voigtland sont contraintes par une règle qui s’impose à leurs titres. Celui-ci ne peut excéder deux syllabes, et s’inscrit dans un système homophonique, ajoutant au questionnement de la série, de l’ensemble, celui de la liste.

Ces photographies procèdent d’un appareil techniquement obsolète, hérité des années 50, le Voigtlander Bessa 66. Pour une approche technique, mimétique et qualitative de l’image photographique, certains défauts sont aujourd’hui jugés rédhibitoires. Cependant, des qualités figuratives intrinsèques à cet appareil demeurent. Le jeu sur l’agrandissement amplifie cette ambigüité en exacerbant parfois une distorsion qui, bien que dénaturant le signal photographique, contribue à l’unification de l’ensemble.


Solaristique (image préparatoire)

Ce projet photographique se développe actuellement autour du roman de science-fiction de Stanislas Lem, adapté une première fois au cinéma par Andrei Tarkovski : Solaris.

Par « solaristique » on peut entendre le positionnement philosophique, scientifique et politique qui peut guider l’humain dans une confrontation avec l’inconnu, l’inexpliqué.

La photographie, à maints égards, a certainement à voir avec ce précepte. Et finalement cette œuvre de science-fiction tourne principalement autour de la question de la re-présentation.

Dans son film, Tarkovski, dans la maîtrise de son langage cinématographique, a inventé et rendu crédible toute l’étrangeté de cette situation en faisant le choix du réalisme.

Cette photographie, dans ce contexte, a un statut bien particulier, car elle ne figurera pas dans l’ensemble lorsque celui-ci sera achevé. Elle est donc singulière. On peut parler de travail préparatoire.

Mais dans l’accomplissement de ce projet, ce portrait m’a permis de prendre conscience de deux phénomènes.

Le premier rencontre une préoccupation essentielle du cinéaste russe, à savoir l’importance de l’œuvre d’art dans la perception et le rapport harmonique que nous pouvons entretenir avec le monde.

Le deuxième, comme corollaire, est que pour être complètement perçue, l’image, même ou surtout réaliste, requiert de son spectateur un acte de foi, simplement défini comme un amour discipliné. 


Sans titre (image double)

À partir de 2009, j’ai réutilisé la photographie comme le moyen d’enregistrer spontanément, instinctivement des « choses vues ». J’ai donc renoué avec un procédé classique, un petit appareil à visée télémétrique, une pellicule argentique suffisamment sensible pour répondre à une diversité de situations lumineuses.

À la lecture des planches-contact, j’ai choisi de privilégier non pas une photographie, mais deux, qui se suivent dans l’ordre du défilement de la pellicule. Au voir et au faire s’ajoute le lire pour déterminer si une image mérite d’être retenue.

Dans ces deux clichés qui n’en font qu’un, ce n’est pas tant la représentation d’un continuum temporel, d’un défilement filmique qui compte, mais la capacité de deux photographies à s’équilibrer. L’inter-image peut contenir des centaines de kilomètres ou une poignée de secondes. Et la part entre mémoire et hasard reste indéfinissable.»


(Christophe Mauberret)






Inauguration le 28 janvier 2010 à partir de 18 h 00, 
Galerie Satellite, 7 rue François de Neufchâteau, 75011 Paris, 
ouvert du mardi au samedi de 13 h 30 à 19 h 00, 
tél : 01 43 79 80 20




www.galeriesatellite.com
http://voigtland.blogspot.com/