vendredi, mars 30, 2007

Une aventure aérienne et intérieure : pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? (14 )

Anonyme, [aviateur français], années 1920-30.
Tirage sur papier argentique chamois 6,5 x 4,3 cm.
(Coll. Yannick Vigouroux # 323)

L'aviateur est assis à une table, dans un messe d'officier. Sur les murs, l'évocation de ses exploits passés ou à venir : un avion biplan... Deux bouteilles sont posées devant lui, l'une remplie d'eau, l'autre sans doute d'alcool. Dans ces années 1920, l'aviation est une aventure des plus périlleuses. Cet homme anonyme est pour moi un «Saint-Exupéry », ou un « Petit Prince » qui serait devenu adulte. Serein, il est prêt à s'engager dans son aventure aérienne et intérieure.

Le « Petit Prince » a grandi, et désormais rien ne l'arrêtera dans sa conquête d'horizons, de territoires inexplorés.

mercredi, mars 28, 2007

Sténopés numériques (Digital Pinhole Photography)



Photos Yannick Vigouroux.
"Windows, mars 2007."
(sténopés numériques)

J'en rêvais depuis plusieurs années : faire de la photo numérique sans optique. Comme Marc Donnadieu, l'un de mes complices du collectif Foto Povera, j'avais multiplié pendant un temps les prises de vue au téléphone mobile. Il fut même question avec un éditeur d'un projet de livre sur ce que je nommais la « photomobilie artistique », telle que la pratique Marc. Mais la technologie progressant beaucoup plus vite que mes expérimentations visuelles, et dans une direction radicalement opposée (obéissant à cette sempiternelle quête de la netteté, fantasme techniciste pour lequel j'éprouve une forte défiance...). La définition des images était en effet devenue de trop grande qualité. Et moi, j'avais envie de photos fortement pixellisées!

Pour plaisanter (mais était-ce seulement une plaisanterie ?), j'ai souvent confié à mes proches que mon boîtier idéal serait une box... dotée d'un dos numérique.

Il y a quelques semaines, un capuchon en plastique de boîte de pellicule 135, percé d'un trou d'épingle, a remplacé l'optique cassée d'un compact Sony Cybershot.

Réalisées avec cet appareil-photo accidenté, mutilé de son zoom, mes premières prises de vue montrent, à travers les fenêtres, la forêt et les bâtiments du Fort de St-Cyr où je travaille. J'ai aussi réalisé un autoportrait de profil. En ce début de mois de mars, une belle lumière hivernale zébrait le gazon de fragiles et mouvants rais de lumière. Sur l'écran LCD, les images flottantes me faisaient penser à un frémissement coloré, une effervescence d'images mentales...




mardi, mars 27, 2007

" God save the Queen ? " : Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? (13)


Anonyme, [Portrait de la reine d'Angleterre derrière une vitrine],
années 1950 ou 1960. Tirage argentique 6 x 5,9 cm.
(Coll. Yannick Vigouroux # 679)

Derrière la vitrine trône le portrait de la Reine d'Angleterre. Icône vénérée ou destestée, parodiée, malmenée sur les pochettes et dans les paroles des Punks, Elisabeth cohabite avec un sabre et des produits d'entretien, des cartons contenant du mastic... Des marques qui semblent bien françaises... Il semble bien étrange, de la part d'un Français, de vouer un culte à la monarque britanique ? A moins que, proto-punk (il semble que ce cliché anonyme ait été pris dans les années 1950 ou 1960, donc avant l'explosion punk des années 1970), la mise en scène ne soit ironique ? Quelle qu'ait été la motivation du possessseur du portrait et de ce qui semble être une boutique en travaux ((peut-être est-ce celle d'un un brocanteur ?), et celle de la personne qui prit la photo, j'aime ce mélange de prosaïque et de sacralisation, cette cohabitation improbale d'ordinaire et d'insolite, qui rendent ce cliché a priori banal si mystérieux.

L'oeil prophylactique


Photo Yannick Vigouroux,
"Caen, mars 2003."
De la série "Littoralités"

Rue Fresnel à Caen, je me dirige vers le port industriel, cette presqu'île en friche boudée par les touristes. Je me retourne et le bâtiment « surgit », un ancien café qui n'est plus qu'un parallélépipède massif et maladroit, mal assuré sur ses fondations, étrangement bancal. Il ressemble à un bloc de pierres tordu, menaçant de s'effondrer, vestige d'un passé ouvrier révolu. J'ai moi-même travaillé ici, aux Combustibles de Normandie, en tant qu'aide-chaudronnier (le premier métier de mon père fut la chaudronnerie) au début et au milieu des années 1990...

Je viens seulement, plusieurs années après la prise de vue, de découvrir l'oeil prophylactique du graffiti qui orne la porte obstruée. J'ai l'impression que ce n'est plus moi qui regarde la bâtisse, mais que c'est désormais elle qui m'observe, avec, j'ose espérer, bienveillance ?...




lundi, mars 26, 2007

Nue et bottée

Photo Yannick Vigouroux.
"Nu # 1, 2001." De la série "Fragments d'intimité".


Utilisant pour la première fois l'Exakta (un appareil qui était fabriqué en Allemagne de l'Est après la Seconde Guerre mondiale) qu'Anne-Marie venait de m'offrir, j'ai volontairement opté pour une mise au point qui n'en serait pas une... un flou qui brouillerait toute l'image. Comment renouveler le genre canonique du "nu" ?... Je voulais obtenir une image trouble et troublante, une sorte d' image mentale de mon fétichisme : un spectre sensuel qui ne porterait que des bottes.

mardi, mars 20, 2007

L'enfant-papillon

Photo Yannick Vigouroux.
« [L'enfant-papillon],
Var, juillet 2006. »
De la série « Littoralités ».

La petite fille avait remarqué que je la photographiais avec ma box. Ce qui ne semblait pas la déranger, au contraire... Lancée dans une discussion animée avec sa soeur ou une copine, elle souleva soudain sa serviette de plage : la lumière de fin d'après-midi qui éclairait le tissu mouillé lui donna un aspect diaphane qui me fit penser à des ailes d'insecte. J'avais l'impression d'avoir devant moi un "enfant-papillon" libéré de sa chrysalide, prêt à l'envol, à toutes les métamorphoses imaginaires de l'enfance.

lundi, mars 19, 2007

"Lisez la bible"


Photo Yannick Vigouroux. "Diane Bonnot, 2001".

Je n'avais pas remarqué ce détail en déclenchant, mais, prosélytisme involontaire, tel un message subliminal, il est écrit "Lisez la bible" sur l'un des collages du paravent, à côté du visage de Diane...

Quelque chose de simple et de fluide

Photo Yannick Vigouroux. "Paris, 17 mars 2007."
De la série "Underground".

Quelque chose de simple et de fluide : c'est de cela dont je rêvais adolescent, et ce vers quoi je tends depuis lorsque j'écris.

vendredi, mars 16, 2007

"Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? " (12)

Anonyme, « Françoise et Dicken en 1931. Geneviève à 4 mois »,
tirage argentique 6,9 x 11,3 cm. (Coll. Yannick Vigouroux # 434)

Le chien Dicken n'est qu'une minuscule boule sombre, une ombre velue dont on ne perçoit que les yeux et la langue. Comme Françoise, il fixe le photographe. La scène a sans doute lieu près d'une haie, au fond d'un jardin. De Geneviève, dont la légende inscrite au crayon au dos du tirage dit qu'elle « 4 mois », on ne voit rien hormis le landau !... J'aime l'expression de la petite fille surprise avec son arrosoir, sans doute intriguée par l'appareil-photo tenu par son père ou sa mère, si minuscule et vulnérable dans ce monde d'adulte où l'on cadre de si haut. Elle semble malgré tout protégée, comme sa petite soeur l'est par la landau, par ce jardin obscur, rassurant et enveloppant. Le chien monte la garde, comme souvent...



"Le cadre dans le cadre"

Photo Yannick Vigouroux. « Lisboa, sept. 1998. »
De la série « Littoralités ».

En prenant cette photo, j'ai pensé à une photo de Bernard Plossu (« Marseille, 1975 » : on y voit un bateau dans l'encadrement d'une fenêtre, le cadrage est en revanche vertical), qui elle-même me semble-t-il, est très inspirée de fenêtres peintes par Matisse ; j'ai aussi songé à Luigi Ghirri (« Marina di Ravenna, 1986 » : sur cette plage italienne, la structure en bois, ressemblant à un but de foot, redouble le rectangle horizontal de l'image). J'ai attendu que le « nez », la proue du navire « touche » le pilier métallique pour déclencher...

"Le chat qui venait du ciel" (Hiraide Takashi)







Photos Yannick Vigouroux. "Spinoza, 15 mars 2007."

"Aux dires d'un photographe de profession, les amoureux des chats considèrent tous que leur animal est la merveille des merveilles. Comme si leur regard s'était fermé aux autres chats, précise-t-elle. Elle aussi adore les chats, mais comme elle a conscience de ce travers, elle ne prend en photo que les chats que personne n'aime, les chats errants sans beauté."
(Hiraide Takashi, Le Chat qui venait du ciel, 2001)

Pour ma part j'aime tous les chats... mais surtout le mien, ou plutôt celui à qui j'appartiens - je ne déroge donc pas à la règle et l'assume complètement !...

mercredi, mars 14, 2007

"Photographie de groupe, 1960" (Dino Buzzati)

« Le groupe représente les élèves de Seconde du collège Cesarini, rassemblées dans la cour. La vieille femme l’a trouvée par hasard au fond d’un tiroir. Et elle s’amuse à l’examiner. Elle y est aussi, naturellement, au premier rang, avec les nattes. »

Les premières lignes de cette nouvelle semblent a priori bien anodines. Mais, comme toujours chez Buzzati, à partir d’un détail banal, le récit va glisser lentement - et inéluctablement - vers le fantastique pur.

« Elles [les élèves] ne peuvent s’enfuir. » lit-on en effet quelques lignes plus loin. Prémonition ou révélation du désastre final ? La phrase, comme on le découvrira à la fin du récit, est à comprendre dans son sens le plus littéral.

L’ancienne camarade de classe et détentrice de la photo déclare à l’une des adolescentes qu’elle ne peut savoir si elle sourit parce ce qu « [elle] ne vois pas, il y a une petite tache qui justement [lui] cache la bouche… » Accident technique purement photographique (pellicule mal développée ou salissure sur l’objectif ?…), la tache infime est en fait un indice et un symptôme de ce que nous révélera la fin du récit : toutes les adolescentes sont mortes désormais, à l’exception de la vieille femme. Depuis ce jour où elles posèrent, elle sont prisonnières du pouvoir mortifère de la photographie, immobilisées dans le cadre de la photo comme dans un bocal de formol. Muettes pour l'éternité, « censurées » et condamnées par la tache sombre, dans ce purgatoire de papier glacé et dentelé, entre la vie et la mort, la mémoire et l’oubli…

mardi, mars 13, 2007

"La Musique du Hasard"


Photo Yannick Vigouroux.
« Frontignan, 2003 », de la série « Littoralités ».

Trois camions forment un chapelet de notes qui s'égrènent sur la partition formée par le pont et les verticales des deux piliers de béton. « Photographier », c'est, ethymologiquement, « écrire avec la lumière ». Il s'agirait plus exactement, dans mon cas, de variations sur le thème de la « Musique du Hasard » (Cf. le titre français du roman de Paul Auster) : un hasard toutefois cohérent et structuré.

Je suis fasciné, comme d'ailleurs tant d'autres photographes contemporains, par les terrains vagues des zones industrielles. Je pense qu'il y a tout à projeter dans ce vide négligé. Le paysage incertain, irréductiblement approximatif, rebelle à notre besoin d'ancrage dans des repères antropologiques, ouvre dans ses carences mêmes, et de manière paradoxale, vers un formidable potentiel créatif.

J'avoue préférer les herbes maigres et sauvages de ces « non-lieux » aux jardins à la française qui m'ont toujours mis mal à l'aise. C'est le cas du Parc de Versailles, entre autres 

Pourquoi ce goût pour les terrains vagues ? Sans doute est-ce une réminiscence des chantiers qu'enfant, je visitais avec mon père (celui-ci travaillait et travaille toujours dans les les Travaux Publics), où j'ai réalisé mes premières photos, et la toute première à son insu. Cette photo en couleur, que j'ai récemment redécouverte, prise avec un Instamatic, montre mon père devant une haie, coupant pour ma mère un bouquet d'aubépines.
Je crois que c'est dans ces terrains vagues et bouleversés, en devenir, à l'état brut, déconstruits et en cours de reconstruction, que s'est forgé mon regard de photographe, et d'une manière plus générale ma relation au monde. Un chantier permanent qui récuse toute certitude, et, je l'espère, toute forme de dogmatisme. A moins que le doute comme méthode ne puisse devenir une forme de dogmatisme ? Restons vigilants, toujours...

lundi, mars 12, 2007

Un agent secret très anonyme

Photo Yannick Vigouroux.
« Paris, mai 2001 (# 251). »


L'homme chauve à la l'imperméable et à la valise métallique poussait la porte d'un café. Je déclenchais mon Lomo. Plus que secret, cet individu que j'eus envie d'identifier comme un espion ou un détective privé, ou encore un membre de la CIA etc., resterait à jamais anonyme, puisque je l'avais photographié de dos. Devenais-je ainsi son complice ou, au contraire, allais-je le prendre en filature ? Comme souvent, je me suis dit que cet instantané pourrait être un bon point de départ pour un polar : Qui est cet homme ? Que contient sa mallette ? Ce "Kojak" parisien était-il un faux chauve qui s'était rasé le crâne pour changer d'apparence ? Ne portait-il pas d'habitude des lunettes aux montures en écaille remplacées ce jour-là par des lentilles? Pourquoi cette attitude suspicieuse ?...

Retour sur la Blue Box

Quelques jours après avoir écrit un texte sur la Blue Box (mon petit hommage personnel à David Lynch), je lis hier :

« Kapra lui demanda alors de mettre une lettre à la boîte. La boîte était bleue, grande, mais Haid n'y découvrit pas la moindre fente. Il finit par déceler un mécanisme qui ressemblait à un tiroir et l'ouvrit. Le tiroir laissa échapper un vilain grincement. En même temps le fond apparut, rouge comme une langue. Haid crut jeter la lettre dans une bouche.»
(Roth Gehrard, Grand Angle, 1993)

Appareil-photo (mes antiques box 6x9), boîte de Pandore, boîte magique et souvent maléfique (Cf. la boîte fatale du film Hellraiser et ses suites), qu'elle soit bleue ou non, ce que j'aime nommer la Blue Box est décidément omniprésente dans ma vie... remplie de tiroirs secrets et de mécanismes mystérieux.

mardi, mars 06, 2007

Le voile révélateur


Photo Yannick Vigouroux. "Châteaudouble, Var, juillet 2006."

Pendant mon adolescence, j’ai crains pendant un été de perdre la vue. Cette angoisse avait pour origine l’apparition (ou peut-être seulement la prise de conscience ?) de ce que je décrirais comme des filaments translucides qui semblaient danser dans mon œil droit. Je crus qu’il se multipliaient et s’opacifiaient, annonciateurs d’une cécité prématurée... Ce voile me perturbait de plus en plus. Avais-je passé trop de temps à lire? s’inquiétait ma mère. Je n’osais plus ouvrir un livre. Je cessais aussi de regarder le téléviseur. Un samedi, mes parents m’emmenèrent consulter un oculiste à Caen. Celui-ci déclara que ce phénomène était parfaitement normal, qu’il n’y avait rien à craindre. Malgré ce diagnostic rassurant, il me fallu des années pour que se dissipe toute angoisse et que je perde la manie de plisser ma paupière droite afin de mieux visualiser les espiègles filaments qui m’obsédaient…

Mes photos prises à la box sont souvent voilées, justement. Le dos du boîtier mal refermé n’est pas toujours étanche à la lumière. Ce voile ne me dérange pas, au contraire. Il reflète bien je crois ma perception du monde : j’aime l’idée que, dans un battement de paupière, un précipité perturbe la perception de ce réel aux contours trop lisses et précis.

Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? (11) : sourire au milieu des ruines

J. Bertholet (Rue Parisis, Maule, Seine & Oise),
[soldat français posant dans des ruines],
Première Guerre mondiale ? Tirage à l’albumine 8,9 x 5,8 cm collé sur
un carton format carte de visite 10,6 x 6,6 cm. (Coll. Yannick Vigouroux)


L'opérateur des photos glannées dans les brocantes n'est pas toujours anonyme : ici la griffe du photographe l'identifie clairement. Seule l'identité du soldat qui sourie au milieu des ruines est inconnue. Derrière lui, le pan de mur effondré ressemble à un mégalhite aproximatif, un monument qui, ironiquement, célèbrerait l'absurdité de la guerre. Nous venons d'entrer dans l'ère de l'horreur massive, aussi spectaculaire qu'ordinaire, dont la photographie sera si souvent amenée à prendre acte...

lundi, mars 05, 2007

Blue Box

Photo Yannick Vigouroux. "Blue Box, Paris, 1er mars 2007."

J'ai visité il y a quelques jours l'expo de la Fondation Cartier regroupant les dessins et les photos de David Lynch, "The Air is on Fire"...

Dans le film de Lynch, Mulholand Drive, l'ouverture du cube bleu fait basculer le récit, l'aspire avec les personnages vers les tréfonds les plus troubles de notre inconscient. Tout se dérègle, et "fictionne" dans l'apparent dysfonctionnement du récit...

Que contient la petite boîte bleue posée dans la paume ma main ? Beaucoup de choses sans doute, conscientes ou inconscientes. Avouables ou non. Peut-être d'abord, et simplement, ce BLEU (ma couleur préférée) que j'ai la sensation de porter en moi depuis l'enfance : une couleur froide et profonde qui me rassure. Je ne l'avais pas remarqué en déclenchant, mais le minuscule carré du hauvent, à l'arrière-plan, redouble celui du cube. C'est une petite touche colorée a priori sans importance qui, pourtant, s'est imposée à moi. Comme un indispensable contrepoint.