lundi, mars 17, 2008

Fenêtres médusées et somnambules (à propos de mes dernières photos de la série « Windows »)

Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 774, Paris, 9 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


La fenêtre médusée des angoisses crépusculaires


Une constatation qui n'est pas nouvelle, mais que je fais sans cesse en ce moment, plus qu'à l'habitude, lorsque je réalise des autoportraits flous jusqu'à m'en tordre le cou, dans une sorte de refus viscéral de ma condition physique, et de l'inéluctable dégradation qui lui est liée (surtout en ce moment) ; ou lorsque, le jour déclinant, à cette heure bleutée et crépusculaire tantôt rassurante, tantôt propice au contraire aux angoisses en tout genre, je photographie chez moi des fenêtres tout aussi floues, comme cette « fenêtre médusée » : le caractère fragile et éphémère de toute chose, serait-elle ma seule certitude (non-certitude ?) en ce bas-monde ?

Cela ma semblé flagrant lorsque j'ai découvert, sur l'écran LCD de mon appareil numérique, ce rideau froissé en forme de méduse suspendue, aussi séduisante que vénéneuse. Si elle semble prête à l'envol et s'apparente à une promesse de légèreté, d'apesanteur, elle s'impose aussi de plus en plus à moi comme une sourde menace, même si elle n'est que visuelle.


Photo Yannick Vigouroux,
« Window # 775, Paris, 9 mars 2008 »
(Polaroïd numérique i733)


Somnambulisme & photographie


Enfant, j'ai été longtemps somnambule. Tel un zombie, je me déplaçais sans le savoir dans les couloirs et les pièces de la maison où nous vivions avec mes parents et ma petite soeur Gwenaëlle à la campagne, en Normandie.

Une nuit, je me suis réveillé de mon état second, et j'ai pour la première fois constaté l'existence de mon « double » : mon père m'avait pas giflé (lui qui ne ne m'avait jamais battu), mais m'avait giflé quand même. Sans doute seulement dans le but de me réveiller. Cela ne m'a pas du tout traumatisé, mais marqué quand même.

Car, et je ne saurais le reprocher à mon père, je me suis enfin vu tel que j'étais dans cet état de dédoublement J'étais là, flottant dans mon pyjama, ahuri et surpris par cette odeur nauséabonde, celle du vomi dans la salle de bains.

Je me sentais tellement minable et médiocre, dépossédé, si dénudé, « nul », mal-odorant, humilié par moi-même, minuscule face à l'autorité paternelle. Pas bien fier de moi.

Une fois de plus j'étais sorti de mon lit, et aimanté, manipulé par mon inconscient et mes angoisses, je m'étais « promené » sans le savoir, tel un mort-vivant, dans la maison.

En ce moment mes rêves ou plutôt mes cauchemars sont de plus en plus troubles et agités, et se confondent de plus en plus avec une « réalité » brutale et cruelle.

Longtemps j'ai rêvé, je m'en souviens, avant une crise de somnambulisme et ... le vomissement qui souvent l'accompagnait, que j'étais broyé dans une sorte de machine infernale, où s'engouffraient des têtes de mort dédoublées, emportées dans des anneaux successifs, m'entrainant avec elles vers quelque chose de... disons un déchet recyclé, voué à l'oubli. Avant de m'endormir, j'ai longtemps redouté cette sombre machine onirique à broyer.

Pour revenir à des considérations plus photographiques (mes confessions autobiographiques non-photographiques ne sont ici que des apartés négligeables, même si, je le sais, on ne peut dissocier totalement l'humain du créateur, et c'est la raison pour laquelle je me « livre » parfois, sporadiquement) – j'avoue n'être pas aussi fan que d'autres photographes français de l'oeuvre de l'Américain Ralph Gibson.

Chez Gibson, selon moi, il y a des choses très bien selon moi,d'autres moins, plus « racoleuses », « faciles »...

Mais je dois avouer que la série et le livre Le Somnambule (1968) m'a influencé durablement comme en atteste mon image intitulée « Window # 7 ». En particulier son image la plus connue, en noir et blanc, qui montre l'ombre projetée et squelettique d'une main sur une porte entrouverte qu'elle semble pousser.

La main a disparu de mon image, mais l'on s'attend à ce quelqu'un pousse la porte et surgisse ; ou, à l'inverse, cette image peut être perçue comme une invitation à ouvrir la porte et franchir le seuil d'un au-delà. La dimension de l'imaginaire, tout simplement, selon moi.

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