mercredi, juillet 21, 2010

De Stromboli à Paris, ou la fausse fin d'une boucle...


Aller à Stromboli était avant tout un rêve de cinéphile. Depuis la redécouverte récente du film éponyme de Rossellini (dont le titre complet et original est : Stromboli, terra di Dio, 1949 http://www.imdb.com/title/tt0041931/) il y a quelques mois, je caressais le projet de m'y rendre en bateau, et d'y séjourner plusieurs jours. J'éprouvais toutefois une appréhension : la réalité sera-t-elle à la hauteur de celle que j'avais tant fantasmée ?

D'une de mes images faite sur le ferry-boat, l'on m'a écrit qu'elle était « saturée de fiction ». C'est sans doute vrai, et en particulier de néo-réalisme... Même la photo de la jeune femme inconnue (Cf. « Mon histoire de Marie »), avec sa coupe de cheveux très années 1940, achetée sur le marché de Syracuse, évoquerait, selon une autre personne, Ingrid Bergman.

Stromboli, c'était presque un pèlerinage pour moi. Après avoir photographié religieusement à travers le hublot l'étrange champignon de pierre, j'ai débarqué sur l'île avec la même fébrilité que si je débarquais littéralement sur le tournage du film, soixante ans auparavant.

Je songe aujourd'hui, entre autres, aux plages courbes et étroites de sable noir qui ceinturent le volcan. Je songe aussi à cette balade de nuit en bateau avec Francesco (alias « Franky International », propriétaire du B & B), et l'impatience de ce dernier face aux caprices du Stromboli qui se fit désirer de longues minutes avant de cracher ses étincelles et sa lave telluriques, tandis qu'un immense yacht privé surgissait devant notre dérisoire coque de noix (scène « surréaliste » : l'orchestre au deuxième étage jouait du rock et nous tournait le dos, quelques rares personnes glissent sur la piste de danse). Décidément, tout allait me surprendre et me captiver pendant ces deux jours.

Alors que j'écris sur le MacIntosh de mon frère Marc qui réside en ce moment au Ghana, et lis depuis ce matin Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad (1899), je pense à toutes ces géographies imaginaires entremêlées, tous ces horizons qui se bousculent : l'Afrique noire que je ne connais pas, tout comme l'Asie où plusieurs amis sont en train de passer l'été, alors que je ne cesse de penser en même temps à l'Italie, la Sicile et la baie de Naples en particulier, et bien sûr la côte normande où je me ressource. Face à l'écran, j'entend la mer et son long bruissement, cliquetis lourd et transparent, comme le battement d'un immense coeur maritime. Tous ces paysages réels et imaginaires (mais n'est-ce pas une seule et même chose ?) se superposent pour ne former qu'une seule masse tremblée, une seule même vague ourlée de tant de nuances complexes et contrastées (à l'image de La Vague de Courbet, peinte en 1869), dans laquelle je me sens irrésistiblement entraîné...

Je prends conscience que c'est justement sur cette côte de Nacre que j'ai réalisé, après celles d'Espagne, mes premières « littoralités », il y a presque quinze ans. Les textes de ce « journal de voyage » n'en sont-ils pas, finalement, l'équivalent linguistiques ? Il y a quelques jours, je notais en effet : « écrire sans penser à l'écriture. Avec les mots, atteindre à la même fluidité, la même aisance et simplicité qu'avec le langage photographique depuis une dizaine d'années, sans réfléchir à la FORME, qui s'asphyxie, et avec elle le contenu, quand elle est (trop) consciente d'elle-même. »

De Stromboli à la Côte de Nacre, d'un rivage à l'autre, des plages de sable noir de l'île volcanique aux plages de sable clair de ma Normandie natale, de la Méditerranée à la Manche, se dérouleraient alors les méandres d'un voyage comparables à ceux du fleuve Niger que je viens de découvrir sur une carte : celui-ci dessine en effet une longue boucle et semble revenir à sa source, pour finalement se jeter plus loin. Tout ce joue peut-être dans ce faux retour à l'origine et ce décalage. Une fin ouverte qui serait le début de quelque chose, comme ce retour si difficile à Paris qui n'aura pas été, à la réflexion, un vrai retour, tant on emporte et laisse de soi-même dans un tel voyage.


Luc-sur-Mer, 20 juillet 2010

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