jeudi, mars 06, 2008

« Le Jardin des enfances vénitien » (Véronique Guerrin)

Photo Yannick Vigouroux,
« Venise, sept. 1999
» ,
de la série "Littoralités" (box 6x9)

« Là-bas, la Venise végétale d'un songe mûrissant, l'image d'une ville engloutie sous les eaux du large espace, un escalier de pierres percé de lucarnes. Là-bas, le craquement de la lagune, des nuages d'entailles lourdes sur l'horizon d'une multitude errante, le chant d'un ange sylvestre ou l'île des étoiles perdues. C'est dans le murmure du coquillage que l'enfant reconnaît la voix de sa mère, comme un apaisement cadencé, d'ample et délicate flamme. C'est dans le crépitement des étincelles du bois qui s'enlace au papier que la phonétique de la lumière devient sensible, comme un mouvement qui dénude ce qui est caché.

Les souvenirs sont des graphismes d'enfants sur des papiers transparents, pliés en quatre et cachés dans des boîtes colorées. La mémoire est étrange : illunée, striée d'opaques nervures. Des visages dont on a oublié les prénoms, des paysages qui appartiennent à l'imaginaire, des plages sans grève, des comptines sans mélodie.



Photo Remi Guerrin,
« Venise, 1984 » (Nikormat)


C'est toujours un jeu sans cesse recommencé. Celui d'un prélude au clair de l'enfance. Et dans le jardin de la mémoire, l'enfant sculpte les gravures de lumière : les feuilles des arbres qui tombent, la vitre embuée, le drap qui frissonne, le poisson mort qui rêve sur la plage, la rose gelée sur sa tige froide et les soldats ivres dans la ville. La petite fille est seule. Elle a froid. Elle a peur. Mais voici que des empreintes de soleil et de nuages et de fleurs recouvrent la nudité de son corps.

Une mesure discrète élabore le foisonnement du mutisme. Nous devons apprendre à nous taire, à écouter l'immobile qui habite la matière. Ne plus rien dire. Et aussi, peut-être, ne plus voir, pour que l'insondable fragment du temps qui passe ne nous lacère plus. Renouveler le chant des
images, par cette intelligence lointaine et primitive qui tresse les chevelures fragiles des sirènes, et dans les ondées de brume et de lilas blanc, trouver l'île de la lande.

C'est une chambre d'ébène aux vieux meubles où la pénombre est sertie de mémoires. Les miroirs s'animent de jeux d'enfants, d'éclats de lumière, de tulipes blanches dans le vase du soir qui dort. Le dragon perdu ne se cache pas dans le coeur de la fleur mais dans la grotte de notre passé. Nous devons sans fin le dompter, le chevaucher, découvrir en lui son autre visage : celui du cheval blanc ailé qui nous emporte vers la Castalienne image. »

(Véronique Guerrin)

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