vendredi, février 29, 2008

La photographie & Francis Bacon

Photo Yannick Vigouroux,
« Self-Portrait # 1, 15 février 2008 »
(Polaroïd i733)


Mes yeux semblent avoir disparu dans cet autoportrait, m'a-t-on fait remarqué, comme si la peau s'était refermée sur elle-même après s'être cautérisée... Mes paupières seraient définitivement closes.

Un photographe dont le regard ne serait plus qu'intériorisé ?

L'une de mes influences majeures, depuis une vingtaine d'années, est, bien sûr, Francis Bacon.

Les photos de son atelier m'ont toujours fasciné car elles révèlent une incroyable accumulation, en apparence chaotique mais matricielle, d'objets, une manière de désordre organisé (dans son inconscient en tout cas) : toiles roulées et entassées, pinceaux, pots de peintures ouverts, mais aussi nombre de clichés punaisées au mur, dont des reproductions de ses propres oeuvres.

L'artiste a confié que le flou de bougé du à un temps de pose trop lent, spécifiquement photographique (Cf. Philippe Dubois, L'Acte photographique) est à l'origine des flous de ses portraits : à l'aide d'un chiffon, il frottait avec vigueur l'huile avant qu'elle ne fut sèche. Curieusement, dans la l'introduction du Photo Poche (n° 133, Actes Sud, 2007) consacré à Saul Leiter, Max Kosloff inverse, fort poétiquement d'ailleurs, le processus : « [...] c'est bel et bien une acuité perceptive de cet ordre précisément qui fait tout le prix du travail de Saul Leiter lorsque, maniant ainsi une touche de lumière en guise de chiffon, il nous fait entrevoir une ville aux gestes soudain suspendus, mais riches de sous-entendus. »

Mes premières photos, étaient des autoportraits très influencés par Bacon, ils furent pris avec un Olympus OM-10 à visée-réflex offert par mes parents auquel je tenais beaucoup (on me l'a volé depuis, je l'avais oublié dans le coffre de ma voiture qu'on avait forcé, sur un parking de la banlieue de Caen).

Dans ma chambre, assis face à l'objectif 50 mm, l'appareil fixé sur un pied et chargé d'un film noir et blanc HP5 (400 asa) à cause de l'importance et de la qualité du grain, ayant réglé au 1/8e de s. environ, je déclenchais en bougeant mon visage de la droite vers la gauche, et inversement... Le résultat était bien sûr très aléatoire et il y avait beaucoup de « déchets ». Plus économique avec le numérique : avec le même mode opératoire je peux désormais prendre une centaine d'images, pour n'en sélectionner au final qu'une ou deux seulement !

Comme les peintures réalisées à l'époque, j'ai détruit tous les négatifs et tous les tirages de ces autoportraits à partir de 1994 – je travaillais alors sur des chantiers de travaux publics et croyais avoir renoncé, définitivement, à la photographie. Mais mon recrutement à la Mission du Patrimoine photographique à la fin de cette année-là par Pierre Bonhomme, et la rencontre simultanée d'Anne-Marie sauvèrent le « photographe fauché et repenti ».

Depuis quelques mois, j'éprouve le besoin de renouer avec ces expérimentations originelles, avide de rencontrer ces multiples fantômes de soi qui m'évoquent tant l'un des plans du film L'Echelle de Jacob (1990) d'Adrian Lane : une créature secoue si vigoureusement son visage qu'il semble se désagréger... « C'est... comme des démons » déclare Jacob Singer, alias Tim Robbins. Les yeux de certains d'entre eux (des chirurgiens) ont disparus.

Curieusement, c'est plutôt l'affiche de Silent Hill (2006) de Christophe Gans que j'avais à l'esprit lorsque j'ai réalisé cet autoportrait, alors que c'est la bouche qui est effacé, et non les yeux.

Le flou de bougé au cinéma auquel recourt souvent Gans est un emprunt au flou photographique : il implique une perturbation des sens, exprime un trouble sensoriel, un vertige par exemple dû à la consommation d'alcool / de drogues dures, ou à de la fatigue tout simplement, quant il n'ouvre pas, dans le cinéma fantastique ou de Science-Fiction, vers une dimension autre, surnaturelle.

1 commentaire:

alex a dit…

très bel article.

j'admire aussi énormément ce peintre. c'est chouette hein ? ;)