« La Jeune Femme au manteau rouge # 2 et # 4 »
(Polaroïd numérique i 733)
J'avais annoncé en 2006 que je cesserais mon activité de critique d'art pour me consacrer plus exclusivement à mes photographies et à l'écriture fictionnelle. Ce que j'ai fait, à cette nuance près que j'ai repris depuis cette activité critique, de manière certes plus sporadique.
Voici un extrait d'un texte en cours :
« La Jeune Femme au manteau rouge
Chaque jour, dans le train de 8 h 17, la jeune femme au manteau rouge s'assoit devant moi, quelques minutes après mon arrivée, près de la fenêtre, dans le sens contraire de la marche. Comme tous les matins elle me jette un regard vague et furtif, auquel je répond par le même regard vague et furtif. C'est comme un signe de reconnaissance. Surtout pas un signe de complicité. Nous nous reconnaissons, c'est tout. Et pourtant j'ai le sentiment que nous nous connaissons sans nous connaître. La jeune femme au manteau rouge ne sourit jamais. Elle en possède probablement un mais ne parle jamais dans son téléphone mobile. J'apprécie cette discrétion. Depuis deux ans que nous voyageons "ensemble", nous ne nous sommes jamais parlé. Je ne connais donc pas le son de sa voix, je ne peux que l'imaginer. Malgré son attitude fermée et distante, je sens circuler entre nous un étrange courant de sensualité froide, difficile à décrire. Tout en faisant semblant de lire, je contemple du coin de l'oeil le bout carré de ses bottines marron, ce morceau de cuir légèrement usé. Je n'aime pas les mocassins gris qu'elle porte parfois.»
Pour écrire les premières lignes de ce texte, amorcer la fiction, j'ai d'abord visualisé et enregistré mentalement les caractéristiques physiques et les attitudes de cette jeune femme, plus inconsciemment que consciemment ; puis un matin j'ai pris ces images floues avec mon nouveau boîtier numérique, où, pour une fois, elle porte un manteau noir. Qu'importe, l'image mentale que j'ai formé d'elle depuis longtemps est celui d'une femme portant un manteau de couleur rouge, et qui le restera...
Je venais de relire ces lignes de Virginia Woolf – cette fois il s'agit d'une personne âgée, mais le processus d'amorce et de gestation de la fiction (imaginer la vie d'inconnus croisés dans un train) est le même : « Je crois que tous les romans commencent avec une vieille dame dans le coin en face » (« Mr. Bennet et Mrs. Brown », conférence faite à Cambridge en 1924, in L'Art du roman, 1925).
Peter Handke confie quant à lui avoir rédigé son premier roman après la découverte d'un portrait de Cézanne : « Un portrait me frappa tout particulièrement car il représentait le héros de mon histoire, laquelle restait encore à écrire. Il était intitulé L'homme aux bras croisés : un homme sous lequel il n'y aura jamais de nom propre (et pourtant ce n'est pas n'importe qui), vu dans l'angle d'une pièce plutôt vide, définie par les seules lattes du plancher. [...] Les yeux de l'homme regardaient obliquement vers le haut et n'attendaient rien. L'un des coins de la bouche légèrement étirée par un sillage d'ombre plus épaisse : "modeste tristesse" Excepté la chemise blanche ouverte, il n'avait de lumineux que le grand front arrondi ; dans sa nudité même celui-ci était sa part non protégée » (La Leçon de la Sainte-Victoire, 1980)
Ce qui me frappe, c'est que, représentations picturale ou personne réelle, l'individu est à chaque fois perçu en diagonale, de biais (on ne lui fait jamais face). Virginia Woolf lui attribue un nom imaginaire, Peter Handke ne lui en attribue aucun. Ce sera le cas de la « Jeune femme au manteau rouge » qui restera anonyme, et, mixte des deux modes opératoires, l'image mentale des rencontres réelles servira de matrice au même titre que les clichés flous que j'ai pris d'elle. Il me semble en effet que les détails enregistrés doivent rester indécis, ténus, afin de laisser plus librement cours à mon imagination...
8 commentaires:
La robe en plastique.
Photo de la housse)
la dame au manteau rouge avait retrouvé son manteau . Il était resté très longtemps au pressing car elle avait perdu le ticket pour le récuperer. C'était ce manteau comme un doudou, une autre forme d'elle, une peau astrale et sans lui elle se sentait nue, incomplète,c'était ainsi, qu'elle voyait son corps dans l'au-delà, un corps de lumière emmitouflé dans ce manteau rouge... de vie, de soleil couchant, de boule de Noël, de tomate ou de pomme, un tissu magique et puissant... Ibérique perspective ! le toréro serait l'ange à l'épée !
voilà en effet une histoire possible, un début de narration...
Elle portait toujours le même manteau, je veux dire, de la même coupe, de la même forme...Mais il changeait régulièrement de coloris... Il m'apparaissait alors qu'elle aimait l'idée d'un vêtement- uniforme...Toujours le même et toujours pourtant différent! Un habit de couleur unie mais de semblable stature.
D'ailleurs j'avais remarqué également que le tissu était du lin.
Cette matière noble se repère à son drapé, son élégance, sa tenue.
le lin, l'uniforme, la couleur unie.
Et ...
Le manteau qu'elle portait le plus souvent était malgré tout celui qui était rouge. Je me disais qu'elle était couturière, ou que quelqu'un dans sa famille l'était. Tailleur ? Comme les membres des communautés opprimées qui avaient fuit les persécutions du siècle dernier...et qui cousaient des nuits entières à la lueur médiocre d'une lampe à pétrole, d'une bougie et ensuite de l'ampoule électrique.
D'abord à la main, à l'aiguille puis avec une petite machine à coudre achetée à crédit... les plus méritants ouvraient un magasin, pouvaient avoir un ou deux ouvriers...
la lutte contre la misère, la mesquinerie.
Ce jour là, elle était assise comme à son habitude, non loin de moi et enveloppée dans son manteau rouge, comme dans un linceul. l’idée du linceul m’était venue par association avec l’expression insoutenable que j’avais captée dans son regard. Une lourde tristesse en sourdait. Une intolérable impression de dénuement, de solitude. En descendant elle fit tomber quelque chose. Je me penchais et je ramassais un bout de papier, me sembla t’il. Mais il était plus lourd qu’un papier et le retournant je vis que c’était une photographie. Cette image que je vous livre. « à la tricoteuse «, et je décidais de nommer Antigone ma jeune femme au manteau rouge. En hommage à cette affiche collée sur la porte du magasin.
version deux
ce matin je décidais de suivre la dame au manteau rouge et je chantais dans ma tête cet air « la fille au bas nylon « car je trouvais que les deux expressions se répondaient. La dame au bas nylon ou la fille au manteau rouge. je jouais sur cette mélodie. Je descendais donc derrière mon inconnue et je marchais lentement… Bientôt nous nous sommes retrouvés dans un quartier très éloigné où je n’étais jamais allé. je ne connaissais rien de ce lieu. je ne savais même pas qu’existait encore un endroit aussi archaïque et vieillot. Elle entre dans un magasin baptisé « à la tricoteuse « et dans le petit café du bout de la rue j’achetais une carte postale qui représentait cette maison. Il y avait là toutes sortes de photographies cartes postales, à l’ancienne ! et elles représentaient toutes les maisons de la rue…qui était d’ailleurs bien longues. je me pinçais un peu pour être certain de n’être pas dans un rêve à la Delvaux…
Si tu es d'accord, je télécharge ces versions possibles ici...
Merci pour ces textes que je trouve si réussis ; une fois de plus cela "fictionne" bien !...
Je rêvais cette nuit de la dame au manteau rouge. Elle avançait sur un chemin sombre et portait sur elle une tunique pourpre d'où perlaient des gouttes de sang. A son cou brillait une petite licorne de cristal.
Je me levais avec une impression étrange et mon corps était alangui par cet été brûlant.
Dans la rue, je marchais lentement, encore étourdi par ce mystérieux Golgotha entrevu...
Une petite fille sautait au palet dans une marelle tracée à la craie rouge.; elle chantonnait "Coccinelle, demoiselle du Bon Dieu, réalise mon voeu... "
Il faisait très chaud dans le compartiment du train. Comme en l'année 1976. Lors de l'invasion des coccinelles échappées d'un élevage.
La dame au manteau rouge s'était endormie, ou plutôt assoupie. Son sac à main serré contre elle, dans un geste un peu défensif, et le journal qu'elle lisait était tombé à ses pieds.
Des nuées de bestioles rouges à points noirs voltigeaient dans l'espace clos et je les regardais...
Une coccinelle se posa sur le col du manteau , broche précieuse : rubis sur hématite taillée et brillante dans un éclat de soleil reflété par le cadran de mon bracelet montre.
La dame à la coccinelle comme la dame à la licorne...
Un bien joli et étrange rêve...
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