« Le groupe représente les élèves de Seconde du collège Cesarini, rassemblées dans la cour. La vieille femme l’a trouvée par hasard au fond d’un tiroir. Et elle s’amuse à l’examiner. Elle y est aussi, naturellement, au premier rang, avec les nattes. »
Les premières lignes de cette nouvelle semblent a priori bien anodines. Mais, comme toujours chez Buzzati, à partir d’un détail banal, le récit va glisser lentement - et inéluctablement - vers le fantastique pur.
« Elles [les élèves] ne peuvent s’enfuir. » lit-on en effet quelques lignes plus loin. Prémonition ou révélation du désastre final ? La phrase, comme on le découvrira à la fin du récit, est à comprendre dans son sens le plus littéral.
L’ancienne camarade de classe et détentrice de la photo déclare à l’une des adolescentes qu’elle ne peut savoir si elle sourit parce ce qu’ « [elle] ne vois pas, il y a une petite tache qui justement [lui] cache la bouche… » Accident technique purement photographique (pellicule mal développée ou salissure sur l’objectif ?…), la tache infime est en fait un indice et un symptôme de ce que nous révélera la fin du récit : toutes les adolescentes sont mortes désormais, à l’exception de la vieille femme. Depuis ce jour où elles posèrent, elle sont prisonnières du pouvoir mortifère de la photographie, immobilisées dans le cadre de la photo comme dans un bocal de formol. Muettes pour l'éternité, « censurées » et condamnées par la tache sombre, dans ce purgatoire de papier glacé et dentelé, entre la vie et la mort, la mémoire et l’oubli…